vendredi, mars 29

A Grenoble, l’élargissement de l’A480 veut faire sauter le verrou des bouchons (et du frein à l’attractivité)

Il s’agissait du chantier des dernières décennies pour l’Y grenoblois, qui aura suscité des discussions parfois houleuses entre partisans d’une rocade demeurant à 2 voies mais engorgée aux heures de pointe, et défenseurs d’un élargissement à 3 voies de l’A480. Car c’est finalement cette infrastructure routière, héritée des Jeux Olympiques de 1968, qui avait fait de Grenoble l’une des villes les plus embouteillées de France.

Désormais, c’est tout le visage d’un aménagement routier en deux parties qui est en passe d’être complètement transformé, avec la livraison, mi-juillet, de la première portion de l’élargissement à trois voies de l’A480, comprise sur la partie sud entre le diffuseur des Martyrs et l’échangeur du Rondeau. La partie Nord de cet élargissement, qui comprend le franchissement du viaduc de l’Isère jusqu’au diffuseur des Martyrs, avec le raccordement à l’A480, sera finalisée à l’automne.

Et la première épreuve du feu de ce projet de longue date s’est déroulée début septembre, alors même qu’un accroissement du trafic était attendu à l’occasion de la rentrée scolaire. “Les premiers retours que l’on a de la circulation sont plutôt très bons depuis l’ouverture de la première portion“, confirmait à la rentrée Olivier Ehrsam, président de la Commission du territoire de la CCI de Grenoble.

Avec un objectif affiché d’ici la fin des travaux : pouvoir assurer une durée de trajet de 12 minutes entre Saint-Egrève et Pont-de-Claix, là où la moyenne (très évolutive en fonction de la congestion) était fixée à 35 minutes.

 “Il était même considéré comme un objectif quasiment impossible à réaliser”

“Il s’agit de l’un des projets les plus importants que la métropole ait connu, au cours des dernières décennies, et qui était même considéré comme un objectif quasiment impossible à réaliser, car cela faisait déjà plusieurs décennies que les infrastructures routières grenobloises étaient devenues obsolètes et inadaptées. Le sujet avait mobilisé les chefs d’entreprise de manière très forte, avec une grosse campagne Stop aux bouchons sur le précédent mandat“, se souvient le président PS de Grenoble Alpes Métropole, Christophe Ferrari.

“L’un des objectifs de ce projet était de voir comment générer moins de circulation à l’intérieur du cœur de ville, avec l’idée que l’A480 puisse de nouveau jouer son rôle en redevenant cet axe structurant qui permette d’apaiser la circulation sur les autres axes”, affiche Nicolas Orset,  directeur des opérations à la direction infrastructures d’APRR-AREA.

Celui-ci rappelle que “ce dossier à multiples facettes, qui a été pensé en 2016, est même devenu une référence au sein du groupe de ce que l’on peut faire en matière d’aménagement urbain, afin de combiner aujourd’hui les questions de mobilités et de transition énergétique”.

Car avec une circulation estimée à près de 100.000 véhicules par jour, l’A480 se posait comme l’épicentre des congestions routières, reliant la ville de Grenoble au trafic provenant de Lyon et de Valence d’une part, et de l’autre à l’échangeur historique du Rondeau, desservant tout le sud de l’agglomération (en direction de Gap comme de Chambéry).

Malgré de fortes réticences évoquées dès l’origine du projet concernant la possibilité d’en faire “un aspirateur à voitures” tout en faisant sauter “le verrou des bouchons grenoblois”, ce projet avait finalement fait l’objet en novembre 2016, d’un protocole d’accord entre l’Etat, les collectivités territoriales (Grenoble Alpes Métropole et le Département de l’Isère) et l’opérateur autoroutier AREA. “Ce projet a été conçu pour ne pas augmenter le trafic de transit“, rappelle Christophe Ferrari.

Deux enveloppes de 300 millions et 100 millions d’euros

Un projet qui comprend en réalité en deux parties, puisque le triplement des voies de l’A480, réalisé avec un engagement de ne pas élargir l’emprise autoroutière elle-même, est financé à 100% par la société AREA (qui a obtenu en parallèle une extension de sa concession sur l’A480 jusqu’en 2036 pour financer les travaux, estimés à hauteur de 300 millions d’euros). Tandis que le relifting de l’échangeur du Rondeau (100 millions d’euros au total) sera quant à lui pris en charge par les collectivités locales (Etat, Grenoble-Alpes-Métropole, Département de l’Isère, Région Auvergne-Rhône-Alpes) avec une inscription au contrat de plan État Région (CPER) 2015-2020.

Face à l’opposition de collectifs de citoyens, défenseurs de l’environnement ainsi qu’à l’avis défavorable du maire EELV Eric Piolle (qui avait déjà estimé “qu’utiliser un énorme effort d’argent public pour des aménagements routiers partout en France, ce n’était pas ce que nous souhaitions”, ndlr), voyant dans cet élargissement un appel d’air pour accueillir encore plus de trafic et donc de pollution, le dossier avait aussi dû montrer patte blanche, ou plutôt patte verte.

Le chantier a notamment dû multiplier les éco-engagements : création de deux passerelles dédiées aux cycles et au piétons, limitation de la vitesse à 70 km/h sur la portion principale, installation d’écrans acoustiques plus élevé sur une longueur de 6 km, replantation de 50.000 arbres, création de bassins de rétention des eaux usées afin qu’elles ne soient pas renvoyées dans le Drac, etc…

Côté calendrier, les travaux avaient démarré au printemps 2019, à la suite de l’enquête publique lancée en juillet 2018 et se seront échelonnés sur trois années pour l’élargissement de l’A480, conduit par AREA. En parallèle, les travaux de réaménagement de l’échangeur stratégique du Rondeau ont débuté, sous supervision de l’Etat cette fois, avec une mise en service prévue pour mi-2024.

 Un élément qui pesait sur l’attractivité grenobloise

“Ce projet comporte plusieurs enjeux, à commencer par l’aménagement du territoire sur une zone qui était complètement saturée en matière de mobilité et qui pesait sur l’attractivité et la compétitivité du bassin grenoblois, alors même que cette métropole demeure très dynamique du point de vue économique”, observe Nicolas Orset.

Avec ses 49 communes et 450.000 habitants, la métropole grenobloise se pose comme le 2ème pôle de recherche français mais aussi comme une mini-silicon Valley avec un grand nombre d’acteurs clés de la filière microélectronique (STMicroelectronics, Soitec, Aledia, Lynred, etc) et plus largement des nouvelles technologies (Verkor, Schneider Electric, HRS, Air Liquide, etc).

A cette occasion, une nouvelle sortie a notamment été créée au coeur même de la Presqu’île scientifique grenobloise, afin que les quelques 20.000 salariés du quartier (qui regroupe notamment le CEA, mais aussi de nombreuses entreprises du secteur des nouvelles technologies comme STMicroelectronics ainsi que le nouveau siège du Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes) puissent bénéficier d’un nouvel accès direct à l’A480, permettant de désencombrer l’avenue centrale des Martyrs.

“Ce projet va nous donner une attractivité supplémentaire, notamment sur la branche sud de l’agglomération grenobloise, en permettant à la fois de mieux relier les différents points de la métropole, mais aussi de participer au développement de nouvelles zones d’attractivité situées au sud de l’agglomération”, estime Christophe Ferrari.

Même attente du côté de la CCI de Grenoble, où Olivier Ehrsam, président de la Commission du territoire de la CCI de Grenoble, constate que beaucoup d’entreprises grenobloises “ne parvenaient pas à recruter à cause du verrou des mobilités. S’il fallait aller de Saint-Egrève à Seyssins et passer 50 minutes dans la voiture le matin pour un trajet qui ne fait que 13 kilomètres, cela devenait compliqué. On avait aussi des entreprises qui ne voulaient plus s’implanter sur le bassin grenoblois, par manque de foncier disponible ou accessible, et qui migraient vers Bourgoin-Jallieu ou Chambéry…

Sans compter “les chefs d’entreprises qui ne venaient même plus jusqu’à Grenoble” selon lui, et “préféraient rencontrer les collaborateurs des grandes entreprises du bassin grenoblois dans un salon de l’aéroport de Lyon-Saint Exupéry…”

Les prochaines étapes

Reste désormais pour ce projet à passer plusieurs épreuves du feu : la livraison, d’abord de son dispositif complet, incluant l’échangeur complexe du Rondeau dont le relifting sera à la charge des collectivités, et qui devra fluidifier et absorber les flux provenant de quatre directions différentes.

Avec également, des retours d’expérience à mener sur l’évolution du trafic :

“La modélisation qui avait été faite il y a 10 ans à l’occasion du projet de la rocade Nord, depuis enterré (et qui est évaluait plusieurs scénarios dont celui d’un simple élargissement de l’A480 sans rocade Nord, ndlr) estimait que l’on arriverait à 150.000 véhicules par jour…”, rappelle Emmanuel Colin de Verdière, président de l’association ADTC Grenoble.

L’association, qui revendique un millier d’adhérents, s’était opposée à ce projet en estimant qu’il ne faisait pas partie des priorités : “pour 300 millions d’euros, nous aurions pu faire beaucoup plus pour les transports en commun et les mobilités douces“, fait valoir Emmanuel Colin de Verdière.

Du côté de la CCI, qui soutient fermement le dossier, on glisse cependant que côté trafic, “tout dépendra aussi des pratiques post-covid, car il est difficile de savoir précisément quel est l’état des lieux depuis la crise sanitaire, alors qu’une grande partie des entreprises proposent encore des dispositifs de télétravail”, ajoute Olivier Ehrsam.

Du côté d’AREA, on précise qu’un premier bilan chiffré, et notamment de la congestion routière, est attendu pour la fin octobre.

La mise en musique des prochaines étapes de la ZFE grenobloise pourrait également influencer sur l’évolution du trafic à venir au cours des prochaines années, même si l’A480 est à ce stade exclue du périmètre, où la vignette Crit’air sera obligatoire.

De son côté, la Métropole de Grenoble mise également, à travers son syndicat des transports en commun (SMMAG), sur la poursuite du développement des transports en commun à l’échelle du prochain mandat, qui comprend notamment un projet de futur téléphérique reliant l’une des extrémités de l’Y grenoblois, de la commune de Fontaine à Saint-Martin le Vinoux, en passant par la Presqu’île. Et plus largement, à terme, son projet de RER grenoblois à 1 milliard d’euros, dont les financements ne sont pas encore bouclés mais qui vise à redévelopper un réseau de trains du quotidien toutes les 15 minutes, à horizon 2035.

Lien source : A Grenoble, l’élargissement de l'A480 veut faire sauter le verrou des bouchons (et du frein à l'attractivité)