Construit à proximité de l’épicentre de l’explosion de l’usine AZF, l’Oncopole de Toulouse s’est imposé en dix ans comme un établissement de référence pour la prise en charge du cancer. Chaque année, 3.500 patients y viennent pour suivre une radiothérapie. Mais dans cette organisation bien rodée, il suffit d’une panne d’un sous-ensemble d’une machine pour perturber temporairement la prise en charge des patients.
Du stress et des surcoûts pour les établissements de santé
« Nous rencontrons en moyenne deux pannes par mois (sur les sept machines de radiothérapie que compte l’Oncopole). Chaque panne provoque une interruption de la machine pendant quelques heures voire plusieurs jours s’il faut changer la pièce. Ces défaillances génèrent une grande désorganisation dans le département car il faut mobiliser non seulement des médecins mais aussi des physiciens et des manipulateurs pour savoir éventuellement si un patient peut aller sur une autre machine et réorganiser le planning de prise en charge des patients », témoigne Elizabeth Moyal, responsable du département de radiothérapie de l’IUCT Oncopole.
Outre la gestion des patients et la désorganisation du service, ces pannes de machines mobilisent les fabricants des équipements médicaux. « En tant qu’industriel, nous devons diagnostiquer la pièce ou le sous-système qui a provoqué la défaillance puis dépêcher des experts techniques et des ingénieurs qui remettent en condition opérationnelle l’équipement. Outre le coût humain d’un report de traitement, ce type de pannes représente également pour les établissements de santé un impact financier important car une telle intervention d’urgence est extrêmement coûteuse », décrit Philippe Degrèze, vice-président marketing d’Accuray, fabricant californien qui figure dans le top 3 en matière d’équipements de radiothérapie.
L’Oncopole accueille chaque année 3.500 patients pour une radiothérapie. (Crédits : Rémi Benoit)
D’où l’idée de faire appel à de l’intelligence artificielle pour déployer de la maintenance prédictive, autrement dit réparer les machines avant la panne en détectant très en amont des signes annonciateurs de défaillance. Pour y parvenir, l’IUCT-Oncopole et Accuray se sont alliés avec… Airbus.
Une centaine de compagnies utilisent un outil d’IA d’Airbus
Le leader mondial de l’aéronautique Airbus qui dispose de compétences de pointe en matière d’IA. A l’instar de sa plateforme de big data Skywise déjà adoptée par une centaine de compagnies aériennes dans le monde. L’outil permet de collecter les données de 24.000 paramètres de l’avion. À partir de cette masse d’informations, il est possible de réaliser de la maintenance prédictive : savoir par exemple qu’une pièce de l’appareil a besoin bientôt d’être changée et donc d’effectuer des opérations de remplacement avant la panne. Airbus a aussi déployé en interne des outils de maintenance prédictive dans ses usines de production.
L’aéronautique et la santé partagent cette nécessité de modèles d’IA explicables. (Crédits : Rémi Benoit)
« Au premier abord, on peut s’interroger sur le lien entre les avions et la radiothérapie. L’idée n’est pas de dupliquer les processus de détection de pannes sur un avion dans le domaine de la santé. En revanche, nous allons pouvoir puiser dans cette capacité à collaborer avec un métier pour élaborer un algorithme pertinent. Un système d’air sur un avion va communiquer énormément de données via les capteurs de pression ou de température. Développer des modèles d’intelligence artificielle pour agréger ces données pour détecter des signes précurseurs de potentielles pannes, cela peut être utile dans d’autres secteurs », avance Fabrice Jimenez, spécialiste en intelligence artificielle au sein d’Airbus.
L’ingénieur relève par ailleurs que dans la santé comme dans l’aéronautique figurent « les mêmes exigences de sûreté et d’explicabilité des algorithmes d’intelligence artificielle ». Airbus a ainsi contribué aux côtés d’autres grands acteurs du secteur (Thales, Bombardier) au projet DEEL ( pour Dependable and Explainable Learning) lancé par l’IRT Saint-Exupéry et mené entre Toulouse et le Québec. Avec cette démarche, il sera possible d’expliquer chaque décision prise par l’intelligence artificielle, une condition sine qua non pour les utiliser un jour dans des systèmes critiques comme la voiture ou l’avion… ou des équipements médicaux.
Explosion attendue des cancers d’ici 2040
À l’Oncopole de Toulouse, un premier modèle d’intelligence artificielle a été testé ces derniers mois sur un sous-ensemble d’une machine de radiothérapie appelé collimateur multilames. « Cet outil nous permet de bien irradier le patient, c’est un élément-clé qui est énormément sollicité lors de la délivrance des traitements. Quand cet élément est hors d’usage, toute la machine s’arrête. Son remplacement peut prendre plusieurs heures sans compter également des heures de travail de contrôle et de vérification physique avant la reprise du traitement », décrit Laure Vieillevigne, cheffe du département de physique médicale à l’IUCT-Oncopole. En s’appuyant sur les données d’une vingtaine de machines dans le monde, le service toulousain a déjà obtenu des résultats encourageants dans la réduction des défaillances. Une thèse menée jusqu’en 2027 permettra d’approfondir le projet.
L’Oncopole mène plusieurs projets autour de l’intelligence artificielle. (Crédits : Rémi Benoit)
En cas de succès, cette innovation pourrait intéresser d’autres établissements de santé en France étant donné qu’environ 200.000 patients suivent chaque année une radiothérapie dans le pays et qu’avec le vieillissement de la population le taux d’incidence mondial des cancers pourrait augmenter de 60% d’ici 2040. Pour sa part, l’Oncopole travaille en parallèle à d’autres cas d’application de l’intelligence artificielle. « Cela permet de prédire l’efficacité des nouvelles thérapies et de personnaliser in fine le traitement. D’autres projets visent à optimiser la prise en charge du patient », conclut Elizabeth Moyal.
Lien source : Airbus use de l'intelligence artificielle pour mieux soigner le cancer