mardi, avril 23

Après le deal avorté entre TF1 et M6, l’Arcom défend sa « vertu » et son « indépendance »

Depuis l’abandon par TF1 et M6 de leur projet de mariage qui aurait bouleversé le paysage audiovisuel français, une petite musique se fait parfois entendre. Il y aurait de « bons » régulateurs, et un « mauvais » régulateur. Ces considérations émanent notamment de la gauche de l’échiquier politique, particulièrement inquiète de la consolidation des médias entre les mains d’une poignées de puissants milliardaires, comme Vincent Bolloré (Vivendi/Canal+), Patrick Drahi (Altice/BFMTV) ou bien sûr Martin Bouygues, le chef de file du groupe Bouygues et maison-mère de TF1. Du côté des « bons » régulateurs, on aurait l’Autorité de la concurrence, dont les analyses ont poussé TF1 et M6 à jeter l’éponge sur leur projet. Mais aussi l’Arcep. Le régulateur des télécoms s’est en effet inquiété des conséquences du deal. L’institution a notamment évoqué « des risques sur le marché de la fourniture d’accès à Internet, au détriment des utilisateurs ».

Les avis négatifs de ces deux « gendarmes » (Arcep et Autorité de la concurrence), comme on les appelle, constitueraient la preuve de leur indépendance. Sachant que le gouvernement, pour rappel, s’est toujours montré favorable à un mariage entre TF1 et M6. En revanche, l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, serait un vilain petit canard parce que son analyse penchait en faveur d’une fusion. Elle semble, plus exactement, comprendre le projet de TF1 et de M6 de bâtir un champion du streaming pour lutter contre les Netflix, Disney+ et Amazon Prime, dans un contexte de révolution des usages liée à l’essor du numérique. « Ces mutations mettent les acteurs historiques au défi de faire évoluer leur modèle éditorial, et, à cet égard, d’accroître leurs investissements, souligne l’Arcom dans un avis commandé par l’Autorité de la concurrence. « Ces investissements s’imposent alors que, face à la baisse de la durée d’écoute individuelle (DEI) et au vieillissement des téléspectateurs et des auditeurs, les ressources publicitaires stagnent. »

David Assouline fustige « l’interprétation » de l’Arcom

De là à dire que l’Arcom roule pour le gouvernement ou pour TF1 et M6, il n’y a qu’un pas. D’autant que Roch-Olivier Maistre, le président du gendarme de l’audiovisuel, avait jugé, il y a plus d’un an, qu’il était « compréhensible » que TF1 et M6 cherchent à fusionner leurs activités, au regard des « transformations à l’œuvre du paysage médiatique ».

Cette petite musique, donc, s’est faite entendre ce mercredi matin, lors de son audition par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. C’est une question du sénateur David Assouline, qui ne cache pas sa vive opposition à la consolidation des médias, qui a mis le feu aux poudres. Le parlementaire socialiste a notamment affirmé que l’Arcom était davantage dans « l’interprétation » que son homologue de l’Autorité de la concurrence. Pour étayer ses propos, il a argué que ses décisions reposent sur la loi de 1986 sur le pluralisme des médias, que beaucoup jugent aujourd’hui obsolète.

 « Je sais vous lire, monsieur le sénateur ! »

Ses mots n’ont guère été du goût de Roch-Olivier Maistre, qui a sorti la sulfateuse. « J’ai cru sentir que vous souhaitiez opposer l’Arcom et l’Autorité de la concurrence », s’est-il agacé.

« Je voudrais vraiment m’inscrire en faux là-dessus. Il y aurait, en quelque sorte, une autorité vertueuse qui serait l’Autorité de la concurrence, et une autorité qui le serait moins, l’Arcom. Je sais vous lire, monsieur le sénateur ! Je sais décrypter vos propos ! »

Dans la foulée, Roch-Olivier Maistre s’est appliqué à défendre sa maison. D’après lui, sa seule « boussole »« c’est la loi de 1986 », et non « l’interprétation », ou « l’air du temps »« Nous appliquons des règles strictes, monsieur le sénateur », a-t-il embrayé. « Cette autorité applique les lois. Vous commentiez notre action, et c’est tout à fait normal. C’est le rôle de la représentation nationale. Mais je ne peux pas laisser dire qu’il y a une autorité qui statuerait en pleine indépendance, puisque c’est ce que vous avez laissé sous-entendre, et une autorité qui ne l’aurait pas fait. »

Après cette envolée, David Assouline s’est fendu d’une « mise au point »« Je n’ai pas parlé de l’indépendance de votre jugement », a-t-il affirmé, sans cacher, toutefois, qu’il a « contesté » l’avis du régulateur de l’audiovisuel dans ce dossier. « Depuis le début, vous avez considéré qu’il était nécessaire, par rapport aux évolutions du marché, d’avoir un géant [de la télévision, Ndlr], a-t-il ajouté. Vous l’avez dit ! » Réponse du berger à la bergère : « Je conteste totalement, je n’ai jamais dit ça », a rétorqué Roch-Olivier Maistre. « J’ai dit qu’il était normal que [TF1 et M6] s’adaptent [à l’évolution du marché et à la montée en puissance des géants du streaming] », a-t-il précisé. « Je n’ai jamais dit que cette opération avait vocation à se faire », a-t-il achevé, très remonté.

Pierre Manière

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