dimanche, octobre 6

Après un été catastrophique, les agriculteurs à l’offensive

Début juillet, au lendemain des élections législatives, les agriculteurs montraient déjà des signes d’impatience. L’instabilité politique du pays leur faisait craindre que les victoires obtenues au premier semestre 2024, grâce à une mobilisation inédite, soient enterrées.

Deux mois plus tard, la nervosité est aiguisée par un été catastrophique, qui a exaspéré les éleveurs comme les céréaliers. Les premiers sont confrontés à une triple flambée de maladies vétérinaires en France : la fièvre catarrhale ovine (FCO) de sérotype 3 dans le nord du pays, la FCO 8 dans le sud et la maladie hémorragique épizootique (MHE) dans le sud-ouest. Les deuxièmes craignent la pire récolte de blé tendre sur le sol français depuis 1983, selon les plus récentes estimations du cabinet Argus Media : 27% moins que la moyenne des cinq dernières années.

Les réformes promises aux oubliettes

Or, les réponses apportées par le gouvernement démissionnaire aux difficultés des éleveurs sont jugées insuffisantes, ont déjà dénoncé les syndicats minoritaires de gauche (la Confédération paysanne) comme de droite (la Coordination rurale). Quant aux réformes législatives et réglementaires du secteur en cours avant la dissolution de l’Assemblée nationale (le 9 juin dernier), leur sort reste suspendu à l’inconnue des orientations du prochain gouvernement, dans un contexte, de surcroît, de restrictions budgétaires.

Dans cette ambiance explosive, les syndicats agricoles majoritaires ne se contentent plus des mises en garde face au risque d’une nouvelle déflagration de la colère agricole dans les routes dès l’automne. Ils ont profité du vide politique pour formaliser et pousser encore plus leurs revendications – ainsi que préserver leur position dominante lors des élections des Chambres d’Agriculture en janvier 2025.

Un « projet de loi » syndical

Le 29 août, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont ainsi présenté leur propre « projet de loi », titré « Entreprendre en Agriculture ». L’objectif, assurer la suite de celui « d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture », adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 28 mai.

« Ces propositions devront être inscrites à l’ordre du jour des travaux parlementaires dès la rentrée », espèrent les syndicats majoritaires.

« Global », le texte, en six titres et une quarantaine d’articles, reprend quelques mesures majeures du projet de loi du gouvernement démissionnaire. Notamment l’inscription dans la loi de la reconnaissance de l’agriculture comme « intérêt général majeur » du pays, mais aussi la création de « guichets uniques » facilitant l’installation de nouveaux exploitants. Il met aussi en avant d’autres revendications, encore peu présentes dans le débat : le déploiement de « contrats d’avenir » entre les exploitations agricoles, l’Etat et les acteurs des filières, conclus « dans le cadre d’un plan d’avenir élaboré à la suite d’un diagnostic territorial », afin « d’évaluer la pérennité et la durabilité des systèmes agricoles du territoire au regard notamment de l’évolution des conditions climatiques ». Chère aux Jeunes Agriculteurs, cette proposition s’accompagne de l’idée de créer un livret d’épargne dédié au soutien de la souveraineté agricole, participant au financement des contrats d’avenir.

Plusieurs propositions consacrées au revenu des agriculteurs

Le « projet de loi » des syndicats majoritaires tente aussi d’imposer d’autres allègements des contraintes environnementales contestées par les ONG et jusqu’à présent non retenues par le gouvernement ou l’Assemblée nationale, notamment en matière d’irrigation et de produits phytosanitaires. Il consacre, en outre, un titre entier à des propositions de réforme des lois censées protéger le revenu des agriculteurs (dites « Egalim ») non encore arbitrées par l’exécutif.

La FNSEA et Jeunes Agriculteurs suggèrent notamment une intégration obligatoire, dans les contrats entre producteurs et transformateurs, des indicateurs des coûts de production des premiers calculés par les interprofessions ou les instituts techniques, et préconisent qu’« un poids majoritaire » leur soit accordé dans la détermination du prix de vente. Aujourd’hui, les modalités de leur prise en compte dans ces contrats sont libres : la loi dite « Egalim 2 » de 2021 exige seulement qu’ils soient respectés dans les contrats entre industriels agroalimentaires et distributeurs.

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Les syndicats agricoles recommandent d’ailleurs, aussi, de fixer, au 1er décembre, une date butoir pour la conclusion des contrats « amont » entre producteurs et grandes marques nationales. Pour rappel, ces dernières sont déjà tenues de terminer leurs négociations commerciales en aval, avec les distributeurs, avant le 1er mars. Une idée déjà soutenue par les deux députés de la majorité chargés par le président de la République de travailler à une éventuelle modification des lois dites Egalim, dont les travaux n’ont toutefois pas pu aboutir à cause de la dissolution de l’Assemblée nationale.

Un rapprochement avec la grande distribution

Sur la question cruciale des négociations commerciales, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ne se limitent d’ailleurs pas à des propositions dans leur « projet de loi ». Ils entament aussi un rapprochement avec la Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD), affiché lors d’un débat entre le président du syndicat agricole, Arnaud Rousseau, et le vice-président de la fédération, Thierry Cotillard, organisé fin août au Medef. Selon le média Contexte, des réunions seraient déjà programmées « dans les prochaines semaines » auxquelles participerait même l’Association nationale des Industries Alimentaires (ANIA).

La possibilité d’une réforme législative avant le début des prochaines négociations commerciales s’amenuisant chaque jour d’attente d’un nouveau gouvernement , l’objectif semble être de parvenir à un accord rapide entre maillons de la chaîne sur de « bonnes pratiques » susceptibles d’être immédiatement appliquées. Une stratégie dont l’issue reste toutefois incertaine. La Fédération des entreprises de France (Feef), qui regroupe TPE, PME et ETI, a twitté le 29 août le point de vue de son président, Léonard Prunier:

« C’est impossible, ces histoires de contrats en amont ! Pour une PME, cela veut dire 400 à 500 contrats à signer, dans chaque entreprise ! »

Ce mercredi, la Coopération Agricole, qui réunit les entreprises agroalimentaires coopératives, a aussi estimé, lors de sa conférence de presse de rentrée, que la fixation de la « date butoir amont » proposée par les agriculteurs « n’apporterait que de la complexité ». Tout en excluant tout « blocage », le président de l’Ania, Jean-François Loiseau, cité par l’AFP, a lui aussi déjà insisté sur les difficultés de mise en ouvre des prétentions contractuelles des agriculteurs.

Giulietta Gamberini

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