vendredi, septembre 13

Climat : l’inquiétant boom des climatiseurs

Paris, qui se targue d’organiser les « JO les plus verts de l’histoire », n’avait volontairement pas prévu de climatisation dans le village olympique. Mais finalement, alors qu’une vague de chaleur était attendue sur la capitale, plusieurs délégations ont décidé de se procurer leurs propres climatiseurs mobiles, quitte à les apporter directement dans leurs bagages pour certaines ! Au total, quelque 2.500 climatiseurs ont même été commandés, selon le directeur adjoint du village, Augustin Van Tran Chau, lors d’une visite presse.

Au-delà de cette nouvelle polémique, qui vient entacher les promesses écologiques des Jeux 2024, la perspective d’une augmentation de la fréquence, de la durée et de l’intensité des vagues de chaleur partout dans le monde, et donc d’une utilisation accrue des climatiseurs dans les années à venir, soulève de vrais enjeux à la fois pour le système électrique et pour la lutte contre le réchauffement climatique.

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Plus de 5 milliards de climatiseurs en 2050

Selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), quelque 2 milliards de climatiseurs sont d’ores et déjà utilisés à travers le monde et ce volume pourrait presque tripler à l’horizon 2050 pour atteindre 5,5 milliards, puis 7 milliards en 2070. Ce qui équivaut à la vente de près de 10 climatiseurs par seconde sur ce laps de temps. La part des foyers équipés pourrait, elle, atteindre 60% en 2050, contre 36% en 2022. De sorte que, si aucune action n’est prise, la consommation électrique liée à ces installations devrait plus que doubler à l’horizon 2050 pour frôler les 5.300 térawattheures, soit près de 12 fois la consommation électrique annuelle totale de la France !

« Au cours des trois prochaines années, l’utilisation des climatiseurs devrait monter en flèche et devenir l’un des principaux moteurs de la demande mondiale d’électricité », prévient l’AIE. De quoi mettre en péril la sécurité d’approvisionnement des systèmes électriques tandis que le Pakistan, l’Inde ou encore l’Egypte subissent déjà régulièrement des coupures d’électricité dramatiques lors des vagues de chaleur en raison de ces pics de consommation.

Cercle vicieux

Les enjeux sont aussi climatiques. En effet, si dans certains pays, la production électrique est largement décarbonée (comme c’est le cas en France), elle reste, à l’échelle de la planète, le premier secteur émetteur de dioxyde de carbone, l’un des principaux gaz responsables du réchauffement climatique. En 2022, la production électrique a ainsi représenté près de 40% des émissions de CO2.

Par ailleurs, l’utilisation des climatiseurs a « un impact avéré sur le phénomène d’îlot de chaleur urbain », pointe l‘Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dans une publication sur la climatisation parue en juin dernier. « Les systèmes de climatisation sur air extérieur rejettent de la chaleur dans l’air extérieur, contribuant à l’aggravation de la surchauffe urbaine », peut-on lire. Une étude de modélisation montre ainsi que « l’utilisation généralisée de la climatisation pourrait augmenter les températures extérieures jusqu’à 2°C à Paris, voire davantage en cas de canicules extrêmes », est-il précisé. De quoi renforcer le niveau d’inconfort encourageant le recours à plus de climatisation et ainsi entretenir un cercle vicieux.

À ces émissions de CO2 liées à la production électrique, s’ajoutent celles issues des fuites des fluides frigorigènes souvent utilisés dans les climatiseurs, dont l’impact peut être de plusieurs centaines ou milliers de fois supérieur à la quantité équivalente de CO2. À titre d’exemple,1kg de R410, le fluide le plus couramment utilisé, émet autant de gaz à effet de serre que 2038 kg de CO2.

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Point de vigilance sur l’efficacité

Pour tenter de contenir ces impacts, plusieurs leviers peuvent être actionnés et notamment l’efficacité énergétique des équipements vendus. Or, « bien que des climatiseurs très efficaces soient disponibles sur le marché, la plupart des normes d’efficacité, et par conséquent les appareils achetés par les consommateurs, ont des rendements deux à trois fois inférieurs à ceux des modèles les plus performants », relève l’AIE.

En la matière, l’Ademe met en garde les consommateurs français sur l’étiquette énergie (allant jusqu’à A+++ selon les technologies), qui permet d’identifier les installations ayant la meilleure classe énergétique : « La classe A est la moins performante autorisée sur le marché des climatiseurs mobiles. Ce qui induit un biais cognitif car on pourrait penser, a priori, qu’un produit classé A présente un bon rendement énergétique ».

Repenser la conception des bâtiments et des quartiers

La généralisation de comportements plus sobres, qui consiste à régler le thermostat à une température plus élevée en été, peut aussi avoir un impact déterminant, estime l’AIE. « Passer d’une consigne de 23°C à 26°C divise la consommation par 4,2 à Paris, par 3 à Lyon et par 2,5 à Montpellier », illustre la publication de l’Ademe.

Plus généralement, l’enjeu consiste à « anticiper l’impact des vagues de chaleur en planifiant en priorité des actions de réduction des besoins de froid », explique l’agence française en faisant notamment référence aux travaux d’isolation et de protection solaire. Il s’agit aussi de penser « la conception des bâtiments et des quartiers de manière à favoriser les systèmes de refroidissements passifs », c’est-à-dire ne requérant pas une consommation électrique, explique, pour sa part, l’AIE.

Juliette Raynal

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