L’éternelle comparaison. La France a-t-elle une meilleure industrie que son voisin allemand ? Non pas en matière de production, mais bel et bien sur le plan environnemental. C’est ce sur quoi le Think tank La Fabrique de l’Industrie et le cabinet McKinsey France se sont penchés dans une étude publiée ce jeudi matin, dédiée à la décarbonation de l’industrie hexagonale.
« Le constat initial est un chiffre d’Eurostat comme quoi l’industrie française émet 30% d’émissions de CO2 supplémentaires que l’industrie allemande. Nous avons voulu comprendre pourquoi un tel écart existe en le comparant avec les données qui proviennent du terrain et des filières », justifie auprès de La Tribune David Lolo, l’auteur de l’étude.
Après ce riche travail de croisement et de comparaison des données, la situation est bien différente entre les industries des deux pays. Pour mener à bien ce travail, l’analyste s’est concentrée sur les Scopes 1 (émissions de Co2 liées aux activités directes d’une entreprise) et 2 (liées aux consommations d’électricité et de chaleur du réseau, hors combustion sur site).
« Cette analyse fait émerger un paradoxe : malgré un mix électrique largement décarboné, l’industrie manufacturière française présente une intensité d’émissions directes de gaz à effet de serre (Scop 1, ndlr) supérieure à celle de son homologue allemande (323 grammes de CO2 ou équivalent par euro de valeur ajoutée en France en 2022 contre 254 gCO2eq / € de valeur ajoutée en Allemagne) », peut-on lire dans le rapport final conjointement produit par La Fabrique de l’Industrie et McKinsey France.
Cependant, l’industrie française renverse la vapeur sur le Scop 2 seul grâce à son mix énergétique décarboné largement en sa faveur. « En 2022, le nucléaire représentait 62% du mix de production brute d’électricité en France, et les combustibles fossiles environ 12 %, contre 47 % en Allemagne. Ainsi, le facteur d’émission moyen de la production d’électricité est 5 fois supérieur en Allemagne (368 gCO2eq / kWh d’électricité produite contre 74 en France), constituant un avantage significatif sur le scope 2 pour la France ».
« L’un dans l’autre, les deux industries ont un poids carbone similaire. De plus, le désavantage de la France sur le scope 1 peut s’expliquer en partie par la composition du tissu industriel, mais aussi des biais statistiques », commente David Lolo.
Des leviers identifiés
Si le parc nucléaire de la France apparaît comme un avantage compétitif non négligeable pour son industrie, est-ce que cela sera suffisant pour tenir les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC2) ? « Il y a un vrai besoin d’accélérer sur la décarbonation de notre industrie », estime Matthieu Dussud, de McKinsey France, qui a contribué à l’élaboration de cette note. Certes, les filières de la chimie, l’industrie cimentière, la métallurgie, l’industrie du papier-carton, le bâtiment, l’automobile, la chaîne de valeur des véhicules lourds, le secteur maritime et le secteur aérien, ont remis des feuilles de route environnementales compatibles avec la SNBC2, mais ce ne sera pas suffisant.
« Des efforts supplémentaires seront nécessaires dans l’ensemble des industries pour atteindre les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). On estime à -7,4 millions de tonnes de CO2eq la réduction d’émissions requise d’ici 2030, et à 34,5 MtCO2e d’ici 2050. Un tel effort conduira à changer d’échelle dans le rythme de décarbonation : en effet, celui-ci devra passer de 2% par an à horizon 2030 à 6% par an à horizon 2050 », estiment les rédacteurs de l’étude.
Pour ce faire, ces derniers ont identifié cinq leviers. Il est notamment question d’investir davantage sur l’électrification des procédés ou encore d’améliorer la performance énergétique avec notamment une meilleure utilisation de la chaleur fatale. Sur ce point, « il y a un potentiel de 110 térawattheure, c’est considérable », insiste Matthieu Dussud. Par ailleurs, l’étude recommande d’utiliser des matières recyclées ou biosourcées comme intrants, l’élaboration de procédés verts dans toutes les filières et la captation du carbone.
À l’image de la cimenterie Lafarge au sud de Toulouse, les 50 sites industriels français les plus polluants, et responsables de la moitié des émissions de carbone de l’industrie du pays, ont signé un contrat de transition écologique avec l’État en fin d’année 2023 pour réduire drastiquement leur empreinte carbone par l’intermédiaire de ces leviers et du cofinancement étatique.
« Cette démarche est un bon signal, mais il faut sortir de ces actes symboliques (…) L’industrie en France investit chaque année 10 milliards d’euros dans sa décarbonation. À titre de comparaison, France 2030 c’est cinq milliards d’euros sur cinq ans sur cette question. Quant à la loi industrie verte, elle a mis en place un crédit d’impôt pour favoriser l’investissement sur cette question, mais il y a des incertitudes sur sa pérennité en raison du contexte politique », observe auprès de La Tribune David Lolo. « L’enjeu de la décarbonation de l’industrie n’est pas technologique. Il réside dans la capacité à déployer les actions citées et particulièrement leur financement », résume en guise de conclusion Matthieu Dussud.
Lien source : Décarbonation : l'industrie française n'a rien à envier à l'Allemagne mais doit accélérer