dimanche, octobre 6

IBM parie sur l’informatique quantique pour revenir au premier plan

Un petit pas pour l’informatique quantique en Europe. Ce mardi 1er octobre, IBM a inauguré un « data center quantique » à Ehningen, en Allemagne, son premier du genre en dehors des États-Unis. L’entreprise, qui se trouve au coude à coude avec Google pour le titre officieux de numéro un de l’informatique quantique, va y installer un système basé sur son processeur dernier cri, baptisé Heron.

Signe de l’importance du projet, l’événement a fait déplacer le chancelier allemand Olaf Scholz et le patron de l’entreprise Arvind Krishna. Pour le premier, l’installation de cette structure hors norme doit permettre de positionner le pays dans l’informatique quantique, un des quatre domaines technologiques critiques identifiés par l’Union Européenne. Pour le second, l’enjeu est de se rapprocher de plus d’un tiers des membres de son écosystème de partenaires dans le quantique, soit 80 entreprises et instituts de recherche. Jay Gambetta, vice-président d’IBM Quantum, insiste : « Pour que l’informatique quantique se développe, nous avons besoin que de nouveaux algorithmes soient découverts, et donc nous avons besoin de mettre l’informatique quantique dans les mains des chercheurs. »

Redevenir incontournable

Géant technologique d’antan, IBM joue gros. Après s’être fait distancer par Microsoft, Google ou encore Amazon dans les derniers virages technologiques majeurs que sont le cloud et l’intelligence artificielle, il mise sur l’informatique quantique pour revenir au premier plan.

Très bien positionnée, l’entreprise a encore un long chemin à parcourir avant de remporter ce pari, tant la technologie n’en est encore qu’à ses balbutiements. Mais jusqu’ici, elle tient à la lettre sa feuille de route publique, qui prévoit d’aboutir en 2029 à la production d’un ordinateur quantique stable et performant.

Particulièrement transparent sur ses progrès, alors que son concurrent principal Google ne communique que ponctuellement, IBM place ses pions à tous les niveaux. Non seulement il développe les processeurs très complexes nécessaires aux calculs quantiques, mais il travaille aussi sur la couche logicielle pour programmer des applications métier sur ces machines.

Baptisée Qiskit, la plateforme d’IBM open source permet d’ores et déjà aux entreprises -comme le Crédit Mutuel (CMAF)- de développer des programmes qu’ils pourront ensuite faire tourner sur pratiquement toutes les machines quantiques, d’IBM ou non. Dans une industrie naissante où le débat sur la meilleure méthode d’ingénierie à utiliser pour créer le phénomène quantique fait encore débat, c’est une garantie presque essentielle.

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Devenir le Nvidia du quantique

Si IBM réussit son pari d’imposer à la fois le matériel et le logiciel de référence pour l’informatique quantique, il pourrait se retrouver dans une position similaire à celle de Nvidia dans l’intelligence artificielle. En devenant un point de passage obligatoire pour toute entreprise qui souhaite créer des IA génératives, ce dernier a fait exploser son chiffre d’affaires, ses bénéfices, et sa valeur en Bourse.

Mais à l’inverse d’IBM, Nvidia a mis toutes ces billes dans le même panier : sa plateforme de développement Cuda ne permet de programmer que sur les processeurs (GPU) de la marque. Par conséquent, de nombreux ingénieurs en IA ne sont formés que sur Cuda, ce qui rend difficile l’émergence de la concurrence et créée une situation de monopole pour Nvidia.

De son côté, IBM ne pense pas avoir besoin de monopole pour toucher le jackpot, et mise sur une approche plus ouverte avec Qiskit. Cela lui permet non seulement de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, mais aussi d’éviter de potentiels problèmes avec les régulateurs dans le futur. Dans un rapport publié cet été, le Boston Consulting Group estime que les fournisseurs de calcul quantique se partageront un marché estimé entre 15 milliards et 30 milliards de dollars par an dès les années 2030. Et ce ne serait qu’un avant-goût de son potentiel.

Potentiel révolutionnaire, à confirmer

Rarement une technologie n’a porté autant de promesses que l’informatique quantique. En ouvrant une nouvelle façon d’opérer les calculs, elle permettrait de révolutionner la découverte de médicaments, de créer de nouveaux matériaux, ou encore d’affiner la compréhension des causes du réchauffement climatique.

Contrairement aux a priori, l’ordinateur quantique n’est pas un superordinateur, c’est « juste » un ordinateur différent avec un fonctionnement différent. C’est une brique de plus dans l’informatique, et non le remplaçant des technologies actuelles. D’ailleurs, s’il est censé à terme être capable d’accomplir des tâches infaisables par les ordinateurs traditionnels, il restera bien moins performant sur les tâches où ces derniers excellent. Dans sa vision du datacenter du futur, IBM connecte des systèmes quantiques, avec des superordinateurs et des systèmes traditionnels.

Mais la route reste longue. Aujourd’hui, l’entreprise travaille sur plusieurs familles de processeurs en parallèle (toutes avec des noms d’oiseaux), chacune répondant à un enjeu spécifique. L’une va se concentrer sur le passage à l’échelle du nombre de qubits, l’unité de puissance des ordinateurs quantiques -qui correspond aussi à un phénomène physique.

Une autre va s’attacher à la réduction du taux d’erreurs dans les calculs, aujourd’hui trop élevé. Une autre encore se concentrera sur la stabilité des qubits. « Tout l’enjeu est de réussir à faire parler les qubits entre eux, sans perdre la qualité et sans générer de bruit », résumait dans Les Échos Pierre Jaeger, directeur technique chez IBM chargé de l’établissement de partenariats stratégiques.

L’architecture de référence, Heron, est le produit de toutes ces avancées. Selon l’entreprise, il affiche par rapport à son prédécesseur Eagle (2022) un taux d’erreurs divisé par cinq, des performances 16 fois supérieures et une vitesse de calcul 25 fois plus rapide.

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Objectif « utilité quantique  »

Malgré des progrès constants, les processeurs d’IBM comme ceux de la concurrence ne permettent toujours pas d’atteindre la « suprématie quantique », ce stade symbolique où l’ordinateur quantique réalisera des tâches irréalisables avec les ordinateurs traditionnels.

En revanche, l’entreprise emploie le terme « d’utilité quantique », pour signifier qu’il est possible, d’après elle, de trouver des cas d’usages où les systèmes quantiques actuels offriront un avantage par rapport à l’informatique actuelle.

C’est dans cet objectif qu’elle ouvre son data center en Europe, afin de se rapprocher de ses partenaires industriels (Volkswagen, Bosch, Crédit Mutuel…) et spécialisés (Pasqal, BasQ, Algorithmiq…). Autant d’alliés potentiels pour lui permettre d’émerger en tête de la révolution de l’informatique quantique, quand le temps viendra.

François Manens

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