dimanche, octobre 6

Marine Le Pen : « Nous attendons de Michel Barnier des actes »

LA TRIBUNE DIMANCHE – Michel Barnier a affirmé que les voix du Rassemblement national « comptaient ». Est-ce cela, le respect de vos électeurs ?

MARINE LE PEN – Oui, ça me paraît être une rupture assez franche avec le fonctionnement imposé par le président de la République et par son parti, Renaissance. Il est normal, dans une démocratie, que le premier groupe de l’Assemblée nationale soit considéré, mais il est aussi parfaitement normal que les 11 millions d’électeurs qui ont voté pour nous aux législatives puissent être respectés et entendus dans leurs revendications. Nous revenons donc à un fonctionnement démocratique normal et c’est un bénéfice pour tout le monde.

Le Premier ministre a déclaré qu’il ne s’interdirait pas de mettre en œuvre le mode de scrutin proportionnel. Est-ce une étape positive, selon vous ?

Bien sûr, puisque cela faisait partie des réclamations que nous pouvions porter, pour une raison claire d’ailleurs, et qui n’est pas seulement un intérêt du Rassemblement national : nous sommes pour l’instant, même si ça peut changer, dans une situation de tripolarisation de la vie politique. S’il y a de nouveau des élections législatives dans un an, nous pourrions nous trouver dans la même situation de blocage total qu’aujourd’hui, sans majorité absolue. Cela entraîne une forme de chaos, que nous vivons déjà depuis deux ans mais qui s’est aggravé en juillet. Il faut donc adopter un autre critère, qui permette à une force politique d’avoir une majorité et de gouverner le pays, tout en ayant une meilleure représentation des courants qui le traversent. La proportionnelle à un tour permet aussi une transparence des objectifs des différents partis vis‑à‑vis de leurs électeurs. C’est en cela que les multiples désistements qui ont eu lieu pour nous faire battre ont été profondément gênants. Il doit y avoir des alliances faites en amont, pour que les Français sachent de quoi il en retourne quand ils glissent leur bulletin de vote.

Vous avez conditionné votre non censure préalable du Premier ministre à la non-aggravation des problèmes migratoires de la France. Michel Barnier a évoqué nos « frontières passoires » : est-ce un bon diagnostic, à vos yeux ?

Il est incontestable que Michel Barnier semble avoir, sur l’immigration, le même constat que le nôtre. Maintenant, nous attendons de lui des actes. Il l’a dit lui‑même lors de la passation des pouvoirs : moins dire, plus faire. C’est la grande différence qui pouvait exister avec quelqu’un comme M. Cazeneuve. Les responsables émanant de la gauche refusent de voir la réalité du problème de l’immigration en face. Je m’en tiens, aussi, aux propositions de Michel Bar‑ nier lors de la primaire LR de 2021, dont une grande partie rejoignait notre ligne.

Vous l’appelez à mettre en œuvre son moratoire de trois à cinq ans sur l’immigration ?

Bien sûr, pourquoi pas ? En tout cas, il a au moins conscience que l’immigration est un problème majeur. Et je me souviens du temps où il expliquait que l’immigration hors de contrôle avait été une des raisons du Brexit; c’est une analyse que je partage.

Allez-vous regarder de près la composition de son gouvernement ? Avez-vous des lignes rouges en la matière ?

La censure du gouvernement, c’est la censure du gouvernement, pas celle du seul Premier ministre. Si nous nous engageons pour une non‑censure immédiate parce que Michel Barnier exprime une juste considération à l’égard de l’ensemble des électeurs, je pense qu’il doit aussi avoir un gouvernement qui respecte cette ligne de conduite.

L’inclusion de socialistes est-elle un motif de censure ?

Encore une fois, notre souhait n’est pas de susciter un blocage. Si nous l’avions souhaité, nous aurions fait comme le Nouveau Front populaire et menacé de censurer tout le monde. Ce n’est pas notre état d’esprit. Nous, nous souhaitons qu’il y ait un gouvernement, et ce gouvernement sera évidemment sous surveillance. Nous avons posé nos exigences et nous ne les changerons pas.

Une rencontre avec le Premier ministre est-elle prévue à ce stade avec vous et Jordan Bardella ?

Pas à ma connaissance, mais je juge cohérent qu’il consulte d’abord dans l’optique de constituer son gouvernement. Passé cette étape, il consultera, j’imagine, les différentes forces politiques.

Michel Barnier a annoncé qu’il « améliorerait » la réforme des retraites de 2023. Le RN va-t-il toujours proposer une abrogation pure et simple de cette loi lors de sa niche parlementaire du 31 octobre ?

La niche, c’est le seul moment, chaque année, où un groupe politique peut faire des propositions de loi issues de son programme électoral. Donc, bien entendu, nous allons proposer le retour de l’âge légal de départ à 62 ans et aux 42 annuités de cotisation.

Le prochain budget s’annonce raide, Michel Barnier a laissé entendre qu’il y avait des économies drastiques à faire. Quel sera l’état d’esprit du RN durant ces débats, alors que la France est visée par une procédure de déficit excessif engagée par Bruxelles ?

D’abord, permettez‑moi de rappeler qu’une grande partie de la classe politique et médiatique nous avait présenté Emmanuel Macron comme un cador de l’économie. Or on se retrouve avec la situation budgétaire la plus grave que la France ait jamais connue. Lorsque nous avons dit que, si nous étions aux affaires, nous ferions un audit de l’ensemble des finances de l’État, on nous a ri au nez. Aujourd’hui, on s’aperçoit que les prévisions à 4,1 % de déficit pour 2025 vont être réévaluées pour atteindre 6,2 %. Cela semble à la fois irréel et dramatique. Nous sommes des gens responsables et avons conscience que le pays ne peut plus se permettre d’effectuer des dépenses inconsidérées dans un certain nombre de domaines. Je pense bien sûr à l’immigration mais aussi à la fraude, qui doit faire l’objet d’une grande sévérité, comme d’autres domaines. Le choix de ces domaines est toujours très politique. Est‑ce qu’on dépense davantage pour l’immigration et moins pour la police, ou vice versa ? Ce sont deux visions radicalement différentes. Nous porterons la nôtre.

Si le budget est passé à coups de 49.3, comme cela a été le cas ces deux dernières années, censurerez-vous le gouvernement ?

Rien n’est automatique. Il y a quand même des chances très minimes, voire nulles, que le budget puisse être adopté, puisqu’il n’y a pas de majorité. Quand on est dans l’opposition, en règle générale, on vote contre le budget.

Votre décision de ne pas censurer immédiatement le nouveau Premier ministre a pris de court certains de vos amis politiques, qui se sont empressés de le tancer dans les médias. Comment avez-vous pris votre décision ?

D’abord, je n’ai pas pris la décision de ne pas censurer : j’ai donné des critères précis en indiquant le profil d’un responsable politique que nous ne censurerions pas immédiatement ! Michel Barnier correspond aux premiers critères mais n’est pas le seul capable d’ouvrir un dialogue de façon respectueuse. Le président de la République a tenu compte, en tout cas, des critères posés par le Rassemblement national dans son choix de Premier ministre. Je ne crois pas avoir pris quiconque de court. Maintenant, c’est vrai qu’il y a eu des propos tenus par certains, que je n’ai pas du tout validés et qui sont liés, je pense, aux responsabilités que Michel Barnier a pu exercer en tant que commissaire européen.

Édouard Philippe a officialisé sa candidature à la présidentielle dans Le Point, pariant sur une élection anticipée, comme Jean-Luc Mélenchon. Est-ce aussi votre cas ?

M. Philippe a quand même le sens du timing, il faut le reconnaître… Alors que la France se cherche un Premier ministre, il déclare sa candidature! Plus sérieusement, cela fait partie des scénarios plausibles, bien entendu. Dans la Constitution de la Ve République, le chef de l’État a trois moyens pour sortir le pays d’un blocage politique : renouveler son gouvernement, dissoudre l’Assemblée nationale ou démissionner. Il est évident que, à partir du moment où deux de ces moyens ne sont plus à sa disposition, il ne lui reste que le troisième. Donc, oui, cela fait partie des choses qu’on ne considère pas du tout comme inenvisageables.

Les Jeux paralympiques s’achèvent aujourd’hui avec une nouvelle cérémonie orchestrée par Thomas Jolly. Sa cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, le 26 juillet, a été beaucoup critiquée dans votre camp. Vous, qu’en avez-vous pensé ?

Il y avait du bon et du moins bon. Ce qui est ennuyeux, au‑delà des contradictions qui étaient présentes comme, manifestement, la validation de la peine de mort par l’intermédiaire de Marie‑Antoinette, je pense qu’une cérémonie d’ouverture, quand on reçoit le monde entier, doit éviter d’inclure des choses qui peuvent heurter, choquer. Après, je ne pense pas que cette cérémonie ait mérité un excès de critiques. J’ai simplement trouvé ses éléments provocateurs un peu lourdingues et ringards. Pour le reste, il y avait de très beaux tableaux. Au‑delà de cette cérémonie, je me félicite que ces Jeux aient été une grande réussite sportive et en termes d’organisation. Comme tous les Français, je me suis réjouie de la moisson de médailles de nos athlètes.

À partir du 30 septembre, vous serez jugée en correctionnelle dans le cadre du procès des assistants parlementaires européens du Front national. Vous êtes accusée, avec 26 autres prévenus, de détournement de fonds européens. Dans quel état d’esprit abordez-vous ce procès ?

D’abord, la notion de « détournement de fonds » est parfois entendue par les gens comme étant une captation de bénéfice sur fonds publics. Ce n’est évidemment pas le cas. J’aborde ce procès avec gravité et sérieux, car je considère que ce qui a été fait jusqu’ici au RN, comme d’ailleurs aux mouvements de François Bayrou [accusé des mêmes faits et relaxé] et de Jean‑Luc Mélenchon [accusé mais pas encore jugé], est profondément injuste. Nous irons donc devant le tribunal pour dire que nous n’avons commis aucune infraction et que les reproches qui ont été construits au fur et à mesure de cette instruction, sur l’initiative de Martin Schulz et de Mme Taubira, sont tout à fait contestables.

Est-ce que vous craignez de subir une peine d’inéligibilité ?

J’ai la faiblesse de penser que je serai relaxée, comme l’ensemble de mes collègues députés. Donc, non, je ne me mets pas dans cette perspective. Je suis très sûre de notre innocence.

Lien source : Marine Le Pen : « Nous attendons de Michel Barnier des actes »