mercredi, avril 24

Patrimoine: des écarts vertigineux entre les riches et les pauvres en France

Le projet de réforme des retraites a remis au centre des débats les questions brûlantes de justice sociale et d’égalité. Le gouvernement multiplie les discours sur une réforme « juste et de progrès social » pour tenter de faire passer le décalage de l’âge légal de départ de 62 ans à 64 ans et l’accélération de la durée de cotisation à 43 ans. Ce récit est loin d’être récent.

Promettre un système « plus juste » et diminuer la fiscalité sur le capital et le patrimoine

Déjà, lors du premier quinquennat, Emmanuel Macron promettait un système universel à points, qui « serait plus juste » que le système par répartition actuel.

Pourtant, le chef de l’État avait également assumé et revendiqué lors de son premier quinquennat plusieurs grandes réformes fiscales et sociales visant à diminuer la fiscalité sur le capital et le patrimoine – par la mise en place d’un prélèvement forfaitaire unique, la suppression de l’impôt sur la fortune, la création d’un impôt sur la fortune immobilière.

Sans surprise, cette politique économique a eu des répercussions sur la répartition des  richesses en France.

Dans une étude dévoilée ce mercredi 25 janvier, l’Insee souligne que les inégalités de patrimoine ont augmenté entre fin 2018 et fin 2021. Les 10% les plus riches ont un patrimoine d’au moins 716.000 euros d’actifs, alors que les 10% les plus pauvres possèdent au maximum de 4.400 euros, soit 163 fois moins. En 2018, année de la précédente étude, l’écart était de 158 entre les deux catégories.

« Le patrimoine immobilier et professionnel explique cette légère hausse entre 2018 et 2021. En revanche, la part du patrimoine financier a diminué dans le haut de la pyramide, explique à La Tribune, Pierre Lamarche, chef de la division Patrimoine et Immobilier à l’Insee. Pour les 1% les mieux dotés, le patrimoine professionnel représente un tiers du patrimoine total. Chez les plus pauvres, ce patrimoine est quasiment nul. »

Concernant ceux qui se trouvent au sommet de la pyramide, le Top 1%, ils possèdent un patrimoine astronomique d’au moins 2,23 millions d’euros .

Immobilier : 6 ménages sur 10 sont propriétaires

L’Insee a passé au scalpel les différents types de patrimoine des Français au cours des années récentes. L’un des principaux résultats est que 6 Français sur 10 sont propriétaires d’un bien immobilier. Ce patrimoine immobilier constitue d’ailleurs 62% du patrimoine détenu par les ménages en moyenne.

Le reste est composé du patrimoine financier, du patrimoine professionnel et du patrimoine résiduel (voiture, équipements de la maison, bijoux). Les propriétaires de logements ont un patrimoine 8,6 fois supérieur aux Français locataires ou logés gratuitement.

Patrimoine financier : des disparités abyssales

Sur l’ensemble du patrimoine détenu, les produits financiers et d’épargne représentent environ 20% du total. L’institut de statistiques souligne que la très grande majorité des Français possèdent du patrimoine financier ou de l’épargne.

Mais les écarts entre les catégories de ménages sont vertigineux. Alors que les 10% tout en bas de la pyramide possèdent en moyenne 400 euros, les 10% du sommet possèdent au moins 150.000 euros d’actifs financiers en moyenne, soit 344 fois plus.

Les plus modestes possèdent principalement des livrets A, alors que les classes moyennes et les plus riches vont posséder une gamme de produits bien plus vaste (compte épargne logement, retraite, assurance-vie, valeurs mobilières). « Les 1% des ménages les mieux dotés répartissent leur patrimoine brut de façon spécifique, avec davantage d’actifs financiers (27% contre 20% pour les autres ménages) et de patrimoine professionnel (34% contre 7%) et relativement moins d’immobilier (36% contre 67%), » souligne l’Insee.

Forte concentration sur le patrimoine professionnel

Le patrimoine professionnel est fortement concentré en France : de fait, ce sont les 5% les mieux dotés en patrimoine professionnel qui en possèdent 95%, mais là aussi avec de grandes différences de répartition puisque les 1% les mieux dotés en possèdent à eux seuls 66%, résument les auteurs de la note.

Ce qui signifie qu’une large part de la population tricolore ne possède pas, ou quasiment pas, de patrimoine professionnel.

« Le patrimoine professionnel comprend principalement l’outil de travail des propriétaires. Chez les agriculteurs, cela peut correspondre au bétail, aux machines, aux bâtiments agricoles. Chez les chefs d’entreprise, cela correspond aux entreprises qu’ils possèdent »,  précise Pierre Delamarche.

La déconcentration de la propriété en France s’est inversée à partir des années 1980

Du point de vue historique, la concentration de la propriété en France (immobilière, professionnelle, financière) s’est fortement réduite après les deux guerres mondiales du XXe siècle.

La part des propriétés privées détenues par les 1% les plus riches a dégringolé passant de 55% en 1910 à 24% en 2020, selon les travaux documentés de l’économiste spécialiste des inégalités et auteur du best-seller Le Capital au XXIe siècle (Seuil 2013), Thomas Piketty, « mais cela a peu bénéficié aux 50% les plus pauvres, dont la part est passée de 2% en 1910 à 6% en 2020, » souligne le chercheur, dans son ouvrage Une brève histoire de l’égalité (Seuil, 2021).

Surtout, la concentration en faveur des 1% les plus riches est repartie à la hausse depuis les années 1980.

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Grégoire Normand

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