samedi, avril 20

Pour ou contre : faut-il une hausse générale des salaires face à l’inflation ? (Jonathan Marie face à Sylvain Bersinger)

La hausse des prix va encore durer plusieurs mois. Même si la Banque de France vient de réviser à la baisse ses prévisions d’inflation pour 2023, à 5,4% en moyenne annuelle contre 6% attendu jusqu’ici, un retour à une stabilité des prix ciblée à +2%, n’est pas attendue avant deux ans (+ 2,4% en 2024 et +1,9% en 2025). Surtout, l’évolution de la structure de l’inflation impacte le pouvoir d’achat des Français. Et pour cause : avec une hausse qui pourrait atteindre 15% sur un an en juin, les prix alimentaires ont pris le relais de ceux de l’énergie comme principal moteur de l’inflation. De quoi rogner le budget des ménages qui n’est pas protégé par un bouclier alimentaire comme c’est encore le cas dans l’énergie.

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Dans les cortèges de manifestations, les revendications sur les hausses salariales côtoient les demandes de retrait de la réforme des retraites. Si le salaire mensuel brut a progressé de 3,8% en 2022, le rythme reste inférieur à celui de l’inflation annuelle (+5,2%), synonyme de baisse du pouvoir d’achat réel. Plus qu’une simple augmentation, 87% des Français souhaiteraient même réindexer les salaires sur l’inflation, comme c’était le cas jusqu’en 1982, au risque d’alimenter une boucle salaire-prix qui pourrait perpétuer l’inflation.

Alors, faut-il une augmentation générale des salaires face à l’inflation ?

Pour ou Contre

L’inflation demeure élevée et progresse même depuis janvier, atteignant 6,3% par an en février 2023 en France indique l’Insee. Depuis mars 2020, les prix à la consommation ont déjà augmenté de près de 11%. La progression nominale des salaires est plus faible : les salaires réels diminuent. La part des salaires dans le PIB se contracte, au profit de celle de la rémunération du capital. Depuis l’été 2022, la Banque Centrale Européenne a décidé de modifier sa politique monétaire, pour « éviter le déclenchement d’une boucle prix-salaires ». Selon le discours officiel, la hausse des taux d’intérêt vise, par l’augmentation du coût de l’endettement, à freiner la demande, tout en favorisant la reformulation des anticipations d’inflation sur un rythme d’inflation de 2%. Ainsi, salariés comme entrepreneurs s’abstiendraient de rechercher des hausses de salaires ou de prix supérieures à ce rythme. C’est cette logique qui a poussé la BCE à augmenter ses taux directeurs une nouvelle fois le 16 mars, portant le principal taux à 3,50% quand il était de 0% jusqu’au 27 juillet 2022.

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Cette politique est inefficace. Elle ne s’attaque pas aux causes de l’inflation actuelle, initiée par des chocs externes et qui se propage par capillarité à l’ensemble de l’économie via la recherche du maintien des marges des entreprises. Dans certains secteurs, les taux de marge s’élèvent dans une boucle « prix-profits ». La désinflation est alors bien moins rapide qu’escomptée. Inefficace et déstabilisante, il faut changer de politique désinflationniste. Et ne pas perdre de vue d’autres objectifs : rechercher le plein-emploi et favoriser la transition écologique.

A court terme, il faut décourager la réalisation de surprofits ; des contrôles de prix peuvent ici être utiles, tout comme la fiscalité, pour décourager de nouvelles hausses de prix. A plus long terme, il faut réduire la dépendance aux importations et donc la possibilité de survenue de chocs externes, et articuler étroitement politiques industrielles et commerciales avec les objectifs de transition écologique. Cette dernière nécessite des investissements massifs : la politique monétaire ne doit pas être restrictive.

Enfin, pour éviter la récession qui menace mais aussi pour permettre de déclencher de nouveaux modes de consommation cohérents avec la transition, les salaires réels ne doivent plus continuer de se réduire. Il est indispensable que les salaires progressent, pour limiter les effets de répartition récessifs induits par l’inflation récente. L’indexation des salaires est un outil utile.

Pour ou Contre

Face au choc inflationniste inédit depuis une quarantaine d’années, la tentation est grande de procéder à des hausses de salaires au moins égales à la progression des prix. Cependant, une envolée généralisée des salaires se traduirait par encore plus d’inflation, ce qui ne génèrerait pas nécessairement des gains de pouvoir d’achat. Le choc inflationniste et les pertes de pouvoir d’achat qu’il entraîne implique de procéder à certaines hausses de salaires.

Ainsi, le SMIC est indexé sur l’inflation (plus précisément sur l’inflation supportée par les 20 % des Français les plus modestes), une mesure judicieuse pour préserver le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes. De plus, il est légitime pour les salariés de demander une hausse de rémunération dans un contexte où les entreprises sont globalement parvenues à maintenir leurs marges (avec de grandes disparités selon les entreprises et les secteurs), ce qui implique qu’elles aient répercuté leurs hausses de coûts dans leurs prix.

Cependant, passer à une indexation généralisée des salaires sur l’inflation (comme c’est le cas pour le SMIC) accroîtrait les coûts des entreprises, et attiserait encore plus l’inflation. Suite à un choc inflationniste, comme cela a été le cas depuis 2021 avec la flambée du prix des matières premières, la crainte est celle d’une « boucle prix-salaires », c’est-à-dire une situation dans laquelle la flambée des prix entraîne un bond des salaires qui, à son tour, conduit à une hausse des prix, créant un cycle auto-entretenu d’inflation.

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Actuellement, la France n’est pas dans une telle situation : d’après la Dares, au quatrième trimestre 2022, le salaire mensuel de base était en progression de 3,8 % en glissement annuel, alors que les prix étaient en hausse de 6,0 %. Il n’y a donc pas de surréaction des salaires aux prix, rendant peu probable une spirale inflationniste durable (d’autant plus que le prix des matières premières est orienté à la baisse).

Cette situation conduit à une perte de pouvoir d’achat momentanée des salariés. Les chocs inflationnistes passés se déroulent généralement en deux phases : une première phase dans laquelle les prix augmentent plus vite que les salaires, impliquant une perte de pouvoir d’achat pour les salariés, puis une seconde phase au cours de laquelle l’inflation baisse mais la progression des salaires se maintient, générant un gain de pouvoir d’achat pour les salariés. Une hausse généralisée des salaires réduit la perte de pouvoir d’achat dans la première phase du choc inflationniste, mais réduit également les gains dans la deuxième phase du fait d’une inflation durablement plus élevée.

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