dimanche, septembre 8

Quand les prix du foncier entravent l’adaptation des stations de montagne

Les images de pentes herbeuses balafrées d’étroites langues de neige artificielle aux jeux d’hiver de Sotchi en 2014 sont dans toutes les têtes. C’est ce sujet d’un enneigement qui va s’amenuisant qui vient en premier à l’esprit à propos de l’avenir des stations de montagne françaises. Surtout celles de moyenne montagne, sommées de diversifier leurs activités afin de compenser, au moins partiellement, le manque à gagner de saisons d’hiver de plus en plus courtes. À l’image de la transition entamée par Métabief dans le Jura, qui fait encore figure d’exception et de laboratoire.

Au contraire, « on continue de construire des stations basses comme à La Clusaz », déplore Valérie Paumier, fondatrice de l’association Résilience montagne, qu’elle définit elle-même mi-ONG et mi-think tank.

« Un modèle qui ne fonctionne plus sans subventions publiques, ni sans neige artificielle est clairement à bout de souffle », ajoute-t-elle.

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Un modèle fustigé par la Cour des comptes

Une opinion que n’est pas loin de partager la Cour des comptes, comme en témoigne un rapport de février 2024, dans lequel son président Pierre Moscovici constate : « C’est toute l’économie du ski française, conçue dans les années 1960, qui s’essouffle et qui est aujourd’hui vraiment fragilisée par le changement climatique. Et les politiques d’adaptation ne sont pas à la hauteur des enjeux. »

Sans surprise, ce rapport a été vivement attaqué dans un communiqué de presse commun, réalisé par l’Association Nationale des Élus de la Montagne (ANEM), l’Association Nationale des Maires des Stations de Montagne (ANMSM) et le syndicat professionnel Domaines Skiables de France (DSF).

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Mais la fabrication de neige artificielle n’est pas l’apanage des stations de moyenne montagne. Énergivore et peu efficace à des températures trop douces, elle est de plus en plus pointée du doigt dans un contexte de sécheresse, de conflit d’usages et de restriction. Surtout lorsque, comme le révèle une récente enquête de nos confrères de Blast, de l’eau potable a été détournée pendant vingt ans pour blanchir les pistes de La Clusaz.

Neige de culture et transport aérien

Dans ces conditions, rien d’étonnant si de plus en plus de projets sont attaqués devant les tribunaux, à l’image d’une cinquième « bassine » ou retenue collinaire dédiée à de la neige de culture dans cette même station. « Les recours juridiques deviennent incontournables pour faire respecter la loi », témoigne Valérie Paumier, qui aide souvent les collectifs d’opposants à monter leurs dossiers.

Alors que le plan Eau prévoit une baisse de 10% d’utilisation d’eau potable en 2030, « ce n’est pas possible d’envisager une production croissante de neige de cultureà laquelle Laurent Wauquiez, alors président de la région AURA, a pourtant annoncé en 2021 vouloir consacrer 30 millions d’euros dans le cadre de son plan « Montagne durable », s’étrangle-t-elle.

Certes, « des stations s’interrogent sur la pérennité des solutions actuelles en termes d’énergie, de biodiversité, etc., reconnaît Valérie Paumier. Mais elles ne remettent pas une seconde en question leur cible de clientèle. » Or, du fait de l’emballement des prix du foncier (qui, rappelle celle qui a effectué une partie de sa carrière dans l’immobilier, atteint 40 à 50 000 euros le mètre carré, à Val d’Isère par exemple), et de la montée en gamme qui en découle dans toutes les stations d’altitude, celle-ci se compose majoritairement d’étrangers venus en avion.

Par exemple, de riches Brésiliens qui viennent dévaler les pistes de La Plagne en janvier, au cœur de l’été austral. Certes indirecte, l’empreinte carbone de ces voyages constitue le principal impact environnemental de la montagne « ski aux pieds ». Mais c’est justement ce modèle qui permet – pour combien de temps ? –  de maintenir les prix du foncier à ces niveaux stratosphériques.

La fin du plan neige annoncée depuis… 1977

Cet impact serait évidemment démultiplié lors d’un événement tel que les JO d’hiver. Surtout, ces derniers justifieraient de nouvelles infrastructures, là où, pour Valérie Paumier, il faut mettre un terme le plus rapidement possible à toute nouvelle construction. « Il n’est pas question de décréter la fin du ski là où il reste possible dans des conditions raisonnables », souligne-t-elle. Mais il faut faire avec l’existant. La moitié des logements déjà construits (dont une majorité de passoires thermiques à rénover), sont occupés moins de trois semaines par an. Et toute nouvelle construction empiète sur des terres agricoles, entretient la flambée du foncier, chasse les habitants à l’année…

Déjà en 1977, Valéry Giscard d’Estaing annonçait la fin du plan neige, pointant le risque d’une trop grande dépendance à une mono-activité et mettant en doute les bienfaits du modèle pour les montagnards eux-mêmes. Pour les montagnards, peut-être, mais d’autres ont bien dû y trouver leur compte : on n’avait alors encore construit que 150.000 lits touristiques en montagne, on en compte aujourd’hui 3,4 millions.

Vendre la montagne, et non plus le ski

Et dans leur grande majorité, les élus locaux semblent les plus réticents à y renoncer. Il est vrai qu’aucune autre activité ne pourra remplacer les 9 milliards d’euros annuels de chiffre d’affaires que rapporte le ski alpin. Quant aux 120.000 emplois menacés par une baisse de l’activité, la moitié sont des saisonniers que l’on pourrait professionnaliser et employer à sensibiliser les randonneurs d’été à la faune et la flore du territoire, et aux enjeux climatiques. En clair, « à vendre la montagne, et non pas le ski ». Et contribuer ainsi à modifier les imaginaires. « Il faut que les gens sachent et comprennent ce qui se passe », insiste Valérie Paumier, dénonçant la responsabilité des politiques et d’un État qui ferme les yeux.

Outre la multiplication de collectifs qui se montent en opposition aux JO d’hiver mais aussi à des tas de petits projets, c’est du côté des assurances qu’elle voit apparaître de premiers signaux faibles. En effet, certaines commencent à se faire sérieusement prier pour assurer des chalets menacés d’éboulements, comme des villas balnéaires en front de mer qui s’effondreront tôt ou tard en raison de l’érosion du trait de côte. Mais pour l’heure, aucune baisse de prix en perspective, et, à court terme, aucune raison économique de modifier le modèle.

Dominique Pialot

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