Trois mois d’existence, dix employés et… un milliard de dollars de financement. La start-up Safe Superintelligence (SSI) vient de boucler une levée de fonds en amorçage record, qui la valorise à plus de cinq milliards de dollars, rapporte Reuters. Un montant sans autre fondement que le pedigree de ses cofondateurs, puisque l’entreprise n’a évidemment rien produit ni prouvé à ce jour.
La vague d’engouement pour l’intelligence artificielle générative avait déjà déclenché des financements d’amorçage record, comme ceux des Français Mistral AI (105 millions d’euros en mai 2023) ou de H Company (220 millions de dollars en mai 2024). Mais celui de SSI les écrase largement. Le tour de table inclut la crème des fonds d’investissement américains comme Andreessen Horowitz, Sequoia Capital, ou encore NFDG, le fonds commun très actif de Nat Friedman (ancien patron de Twitch) et Daniel Gross (ancien directeur de l’IA chez Apple). Ce dernier est d’ailleurs un des trois cofondateurs de SSI, et endosse la casquette de CEO.
La start-up se lance dans le sillage d’OpenAI, Anthropic et consorts avec pour objectif de créer des intelligences artificielles capables de surpasser les performances des humains. Mais contrairement à toutes ces entreprises qui publient régulièrement de nouveaux modèles d’IA, Safe Superintelligence affirme qu’il attendra d’avoir atteint son but final avant de lancer quoique ce soit sur le marché.
Interrogé par Reuters, le cofondateur et CEO Daniel Gross confirme cette ambition, déjà affichée au lancement. « Notre mission est de se lancer sans détour dans la création d’une superintelligence sûre, ce qui va nous demander de passer plusieurs années à faire de la R&D sur notre produit avant de pouvoir l’amener au marché. »
Ilya Sutskever, un appât inestimable pour les investisseurs
Si SSI lève autant, c’est avant tout grâce à la réputation d’Ilya Sutskever, l’un de ses trois cofondateurs (avec Daniel Gross et Daniel Levy). Agé de 37 ans, l’ancien directeur scientifique d’OpenAI entre 2015 et 2023 est crédité pour les avancées qui ont permis à la start-up de prendre de vitesse les géants technologiques Google et Meta.
Le chercheur faisait aussi partie du conseil d’administration réduit qui a voté la destitution du directeur général Sam Altman en fin d’année dernière, dans un feuilleton digne d’Hollywood. Un coup de poker raté, qui avait mené à la dissolution du conseil et à la mise à l’écart -forcée ou volontaire, l’histoire reste floue- du scientifique. Bien que discret sur le sujet publiquement, Ilya Sutskever semblait opposé à la stratégie d’OpenAI, de plus en plus porté sur le développement de produits, à ses yeux aux dépends de la recherche fondamentale et des mesures de sûreté.
SafeSuperintelligence prétend en quelque sorte reprendre le projet initial d’OpenAI, sans le ternir d’enjeux capitalistiques de court terme. Un pari fou pour les investisseurs qui témoigne de leur foi en Ilya Sutskever, qui est l’un des scientifiques les plus réputés au monde… si ce n’est le plus renommé.
« Difficile de croire à un projet de recherche pure », tempère tout de même Hubert Etienne, chercheur en éthique de l’IA, interrogé lors du lancement de SSI en juin. « C’est à cause de l’absence de nouveaux produits que l’IA a connu des périodes dites “d’hiver”, pendant lesquelles les robinets de financement se sont fermés », rappelle-t-il.
L’engouement pour l’IA se porte bien
Alors que la peur d’une bulle de l’IA commence à peser sur les marchés, cette nouvelle levée de fonds rappelle que le secteur du capital risque se montre toujours avide de nouveaux paris.
Si l’opération de SSI atteint de nouveaux sommets, elle s’inscrit dans la continuité du premier semestre 2024. En plus du tour d’amorçage de H Company, les start-up plus établies Mistral AI et Cohere ont levé chacune plus de 600 millions de dollars, tandis que xAI, l’entreprise d’IA d’Elon Musk, levait 6 milliards de dollars moins d’un an après sa création.
Tant pis si les entreprises d’IA brûlent des quantités de cash inédites, qui se comptent en milliards de dollars. Tant pis aussi si elles tardent à démontrer leur capacité à bâtir des modèles économiques solides. Car le gain potentiel en cas de succès paraît trop immense pour ne pas risquer la mise. La continuité de l’engouement pour les projets d’IA est une très bonne nouvelle pour le secteur qui a besoin de capitaux toujours plus importants à chaque nouvelle génération de modèles.
Une partie de la gigantesque enveloppe allouée à Safe Superintelligence servira ainsi à consolider une « petite équipe » de chercheurs et d’ingénieurs de niveau mondial. Des profils que s’arrachent déjà une poignée de startups surfinancées (OpenAI, Anthropic, xAI, Mistral AI, Cohere…) et les géants de la tech (Google, Meta, Microsoft…).
L’autre poste de dépense portera sur l’achat très coûteux des ressources de calcul nécessaires pour entraîner les très grands modèles de langage. Un montant qui ira directement -par l’achat de matériel- ou indirectement -par la location de machines dans le cloud- dans la poche de Nvidia, dont les processeurs restent aujourd’hui indispensables. Les équipes se répartiront entre Palo Alto, au cœur de la Silicon Valley, et Tel Aviv en Israël, d’où Daniel Gross est originaire.
Lien source : Safe Superintelligence lève un milliard de dollars après trois mois d'existence