dimanche, mai 5

A Chamonix, le chantier du téléphérique des Grands Montets incarne défi technique et environnemental

Le chantier qui s’apprête à s’ouvrir sera titanesque : non seulement de par l’ampleur des travaux à réaliser, le budget alloué (150 millions d’euros à la charge de l’exploitant, la Compagnie du Mont-Blanc), mais aussi par ses contraintes techniques engendrées par un milieu de haute-altitude. Car reconstruire une gare de téléphérique ainsi que deux liaisons par câble allant jusqu’à 3.300 mètres d’altitude sur un milieu protégé comme le sommet de l’Aiguille des Grands Montets « n’est pas un chantier comme les autres », comme le rappelle volontiers Mathieu Dechavanne, le président de la Compagnie du Mont-Blanc qui exploite les domaines skiables et remontées mécaniques de la vallée de Chamonix.

Tout a commencé lors de l’incendie qui avait touché le 11 septembre 2018 le toit de la gare intermédiaire du téléphérique des Grands Montets, située à Lognan, un hameau de Chamonix, s’était ensuite généralisé à l’ensemble de l’infrastructure, rendant le téléphérique complètement inexploitable. Depuis, la gare d’arrivée située à 3.300 mètres, n’était plus desservie, l’accès au domaine ayant été maintenu par la télécabine du Plan Joran. Le sujet avait fait place à plusieurs mois d’études et d’échanges au sein de ce territoire classé du Mont-Blanc (Haute-Savoie).

« De nos jours, bien entendu il fallait se poser la question : fallait-il reconstruire ou laisser tomber ? Compte-tenu de l’histoire du site, de son potentiel ainsi que de ce côté un peu R&D où beaucoup de glisse a été inventée sur ce site associé à la majesté des paysages, la réponse s’est rapidement dessinée : il faut essayer de reconstruire oui, mais comment ? », rappelle Mathieu Dechavanne.

« C’était opportunité, à l’aune de la transition écologique, de rebâtir ce qui était jusqu’ici un site de ski un peu industriel, avec des gares qui avaient été construites sans attention particulière, en un site qui accompagne cette transition. Avec une ouverture beaucoup plus large, qui passerait de cinq à dix mois par an », ajoute-il.

Une piste de qui semblait plutôt bien accueillie par le rapport de la Chambre régionale des Comptes sur l’adaptation des stations de ski au changement climatique, qui rappelait que le « projet des Grands Montets inclut un objectif de diversification estivale » : « Actuellement, c’est le domaine skiable où la part du chiffre d’affaires réalisée l’hiver est la plus importante : de 93 % à 95 % selon les saisons, avant l’incendie de 2018 comme après ».

Une consultation publique menée en 2022

Et chose inédite dans ce domaine, où les projets de renouvellement ou d’installations de remontées mécaniques suscitent de plus en plus fréquemment une levée de boucliers de la part des associations environnementales, la tenue d’une enquête publique, qui s’était déroulée du 31 octobre au 2 décembre 2022, avait abouti sur un avis favorable, considérant « que les observations déposées témoignent d’une large acceptation locale en faveur du projet », selon les conclusions publiées par le commissaire-enquêteur.

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Avec pour seules recommandations, celles d’inviter la Compagnie du Mont-Blanc à « reprendre les discussions avec l’Etat sur la possibilité d’installer des panneaux solaires sur les gares (…) pour couvrir les besoins domestiques », de « mettre en application sa proposition de prolonger la piste de ski de randonnée sur le second tronçon jusqu’à l’Aiguille des Grands Montets » ou encore « de mettre en place, en accord avec la mairie, une exposition permanente dans la gare G4 des cristaux découverts à l’occasion des travaux, lors du percement du tunnel d’accès au col des Montets afin accompagner le choix architectural ».

De son côté, la Chambre régionale des comptes (CRC) Auvergne Rhône-Alpes pointait elle-même que les conclusions du commissaire-enquêteur avaient évalué « la prise en compte de l’évolution du climat » au sein de ce projet : « L’impact reconnu des changements climatiques sur la nivosité et le recul des glaciers est intégré à la réflexion (…). Le projet retient une possibilité d’exploitation hivernale du domaine des Grands Montets jusqu’à l’horizon 2050. Les risques inhérents à la fonte du permafrost sont anticipés par l’implantation de la gare sommitale, la création d’un tunnel et la mise en place d’un dispositif de mesures in situ ».

« Nous avons attaché une attention toute particulière à l’empreinte architecturale du futur site, afin qu’elle soit la plus limitée possible », répond Mathieu Dechavanne, qui rappelle que ce projet a été « soumis et co-construit avec une commission formée à la fois d’élus, d’associations et de spécialistes » et aura mis près de trois années à aboutir à sa version finale. Il assure qu’un certain nombre de choses ont été revues à l’issue de la concertation avec ce comité, comme le positionnement ou la taille des gares. Un restaurant qui était prévu au sommet ne verra finalement pas le jour.

Une concertation avec les associations environnementales

« Pour co-construire un tel dossier, il faut aussi savoir faire preuve d’humilité, de patience. Même si l’on va mettre cinq à six ans au lieu de deux ans, à l’issue, vous faites une réunion publique où tout le monde applaudit, l’enquête publique sort sans commentaire négatif, et il n’y a pas de ZAD. On se dit qu’on a fait quelque chose de bien, mais on s’est donné le temps de le faire », ajoute le pdg de la Compagnie du Mont-Blanc.

De leur côtés, les deux associations Mountain Wilderness et France Nature Environnement abondent. Pour Anne Lassman Trappier, présidente de France Nature Environnement (FNE) 74, c’est grâce à une inclusion des associations dans le débat que les choses ont pu se déroulement sereinement. « Faire appel aux associations en amont d’un projet est toujours mieux, car cela permet de nouer une compréhension des enjeux de chacun, et le projet peut ensuite évoluer un peu car nous pouvons être écoutés ». Elle cite notamment en exemple l’inclusion de projets d’énergies renouvelables au sein du dossier, ainsi que la volonté affichée de réduire la taille du parking et ses impacts sur la biodiversité.

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Et ce, contrairement à un autre dossier en cours, le renouvellement des équipements du domaine skiable de Rochebrune, lui aussi géré par la Compagnie du Mont-Blanc, où les associations environnementales viennent d’obtenir gain de cause au Conseil d’Etat. « Sur ce second dossier, nous ne sommes pas du tout dans la même configuration, avec un projet de basse altitude à 1.500 mètres qui a un fort impact sur la biodiversité et les espèces protégées, et qui prévoit l’implantation d’un télésiège en zone humide. Pour nous, c’est une ligne rouge. »

Pour Vincent Neirinck, expert en protection de la montagne pour l’association Mountain Wilderness France, la réduction de l’emprise de la nouvelle gare des Grands Montets est également un facteur de succès, ainsi que la disparition d’un projet de restaurant prévu à l’origine. « L’accident industriel qu’a représenté cet incendie permettait à l’exploitant d’avoir une autorisation de principe pour rebâtir tel qu’était le site, sans forcément avoir de débat sur l’utilité de reconstruire. Cependant, il y a eu derrière des échanges réguliers et des visites de terrain de la part de la Compagnie du Mont-Blanc, qui ont fait que le projet s’est déroulé dans une transparence totale ».

Des solutions techniques pour s’adapter aux conditions d’altitude

Côté technique, les challenges qui s’ouvrent sur ce nouveau projet ne sont néanmoins pas neutres : ce projet devra à la fois construire une gare d’arrivée sous l’aiguille des Grands Montets à près de 3.300 m d’altitude, mais aussi bâtir deux liaisons de transport par câble qui permettront une ascension de 1996 mètres, répartie en deux tronçons. Le premier, d’une longueur de 1.840 mètres, reliera Argentière à la gare intermédiaire de Lognan, tandis que le second tronçon mènera ensuite les skieurs jusqu’au sommet, avec un câble de 2.861 mètres.

Pour cela, le groupement retenu et conduit par la société autrichienne Doppelmayr (et sa branche française basée à Modane, en Savoie) a proposé différentes solutions techniques « qui ont fait la différence sur ce dossier », rappelle Mathieu Dechavanne : avec notamment la mise en place d’un téléphérique de service, spécialement construit pour l’opération et qui sera démonté à l’issue des travaux pour être réutilisé sur d’autres opérations. Son coût : 8 millions d’euros.

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Cet outil qui sera installé entre 2.500 mètres et 3.300 mètres « garantira l’accès au site de l’Aiguille, indépendamment des conditions météo à l’ensemble des intervenants, et réduira fortement les rotations d’hélicoptères et donc, l’impact environnemental du chantier ». D’autre part, l’utilisation d’un blondin assurant le transport des matériaux par câble assurera une évacuation des déblais et un approvisionnement le chantier au fur et à mesure, malgré ses contraintes d’altitude et de météo extrêmes.

« Il faut rappeler que travailler sur ce site est extrêmement complexe, il y a très peu d’entreprises qui peuvent le faire car il n’y a pas d’eau, pas d’électricité ni chemin d’accès », rappelle Mathieu Dechavanne, qui précise que seul un autre groupement, conduit par le transporteur français Poma et le groupe Vinci, avait également candidaté à ce marché.

Côté planning également, des adaptations ont été prévues : compte-tenu des conditions climatiques et des premières neiges attendues dès l’automne, les équipes ne pourront en effet intervenir que de mai à début novembre. Soit une fenêtre d’à peine quelques mois pour réaliser des travaux qui devront accueillir et coordonner plusieurs corps de métiers : remontées mécaniques, gros œuvre, second œuvre, travaux souterrains…

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« Les travaux ont commencé à l’automne dernier et montent aujourd’hui en puissance. L’été prochain, nous aurons jusqu’à 30 et 50 personnes qui travailleront à 3.000 mètres d’altitude et redescendront dormir à la gare intermédiaire de Lognan via le téléphérique de service », précise Benoît Borrel, chef de projets techniques à la Compagnie du Mont-Blanc. Le téléphérique de service est quant à lui en cours de construction, pour une mise en service en août 2024.

A compter de décembre 2026, le téléphérique des Grands Montets devrait accueillir pour sa mise en service jusqu’à 700 skieurs par heure. Soit le même débit « théorique » que proposé lors de la construction de l’appareil et compris dans son autorisation initiale, « mais que nous n’avions jamais pu atteindre avec l’appareil précédent, qui était plutôt de 400 personnes par heure, rappelle le pdg de la Compagnie du Mont-Blanc. Vous vous retrouvez un peu dans les mêmes conditions que de faire de l’héliski et qui font l’âme du site : une fois que vous avez laissé passer les personnes qui étaient avec vous dans la cabine, vous vous sentez seul au monde et c’est quelque chose que nous souhaitions à tout prix garder ».

Réduire l’impact environnemental, tout en faisant grimper le design au sommet

La réalisation de la gare d’arrivée a été confiée au cabinet de renommée internationale Renzo Piano, avec le parti pris de représenter un large cube de verre de 20 mètres, qui sera logé au coeur de la roche et rappellera les cristaux de pyrite du site.

« Le choix de l’architecte a aussi contribué au succès ce projet, car nous voulions laisser une empreinte paysagère la plus intégrée possible. Et celui-ci a passé un grand nombre d’heures à essayer de comprendre l’histoire de cet ancien site de cristalliers », estime Mathieu Dechavanne, pdg de la Compagnie du Mont-Blanc.

« Nous avons choisi d’utiliser du verre, du fer et du métal recyclé pour réduire l’impact environnemental du site », ajoute Benoît Borrel, chef de projets techniques à la Compagnie du Mont-Blanc, qui évoque également des travaux menés conjointement avec la Ligue de protection des oiseaux (LPO), le bureau d’études environnemental Instinctivement nature, et l’OFB (Office français de la biodiversité) pour étudier les protections à mettre en place sur le verre afin d’éviter que les oiseaux n’entrent en collision avec les structures. Un observatoire environnemental mis sur pied en interne a également produit une cartographie de la faune et de la flore qui permettra au maître d’œuvre d’adapter les travaux en fonction des périodes de nidification et de reproduction des espèces.

Côté aménagements, ce projet comprendra également la création d’un cheminement sommital ainsi que d’un tunnel piéton (de 65 mètres) qui sera creusé directement sous la montagne, afin de relier la gare d’arrivée et le col des Grands Montets.

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