vendredi, mai 3

Cryptomonnaies : pourquoi Bitcoin va devenir encore plus énergivore… mais moins polluant

Si Bitcoin est un actif très rentable ces derniers mois, il est aussi très gourmand en énergie. Alors que le réseau (appelé blockchain) permettant d’échanger des bitcoins ingurgitait moins de 100 Térawattheures (TWh) par an début 2023, selon l’index de consommation d’électricité du Bitcoin (CBECI) publié récemment par l’université de Cambridge, son appétit a explosé pour s’établir à 175 TWh aujourd’hui. Soit plus que la consommation des Pays-Bas ou de l’Argentine, selon cet index de référence.

Si la reine des cryptomonnaies est aussi énergivore, c’est à cause de la méthode de sécurisation de son réseau d’échange décentralisé appelé blockchain. Les échanges de bitcoins entre utilisateurs sont validés par des « mineurs », des internautes vérifiant qu’aucune transaction ne soit frauduleuse. Afin d’attirer ces travailleurs de l’ombre, l’algorithme à la base de la blockchain leur distribue des bitcoins pour chaque transaction vérifiée. Ces derniers se livrent ensuite une compétition pour avoir le droit de valider des transactions et être payés.

Et c’est là où le bât blesse. La blockchain Bitcoin utilise la méthode de la « preuve de travail » (« Proof of work ») pour désigner les vainqueurs de cette compétition. Concrètement, le réseau demande à ses mineurs de résoudre des calculs très complexes via leurs ordinateurs, le plus rapide étant désigné vainqueur. Autrement dit, la sécurisation du réseau Bitcoin passe par l’utilisation intensive de nombreuses cartes graphiques et autres calculateurs très gourmands en énergie. Problème, plus il y a de mineurs en compétition, plus les calculs sont complexes… et plus il faut utiliser un grand nombre de machines et d’électricité pour être récompensés.

L’envolée du cours du bitcoin attire de nouveaux mineurs

Une mécanique qui prend de l’ampleur avec la professionnalisation du secteur.

« Le minage est devenu une véritable industrie régie par de gros acteurs cotés en Bourse comme Marathon Digital Holding, Riot Platforms ou CleanSpark qui mettent des centaines de millions d’euros dans leurs infrastructures. Nous ne sommes plus dans une activité menée par des geeks dans leurs chambres. Il y a donc structurellement beaucoup plus de monde en compétition », explique Justine Destobbeleire, consultante crypto chez Sia Partners.

Mais le regain actuel de consommation est aussi conjoncturel puisqu’il arrive au moment où le cours de la crypto s’est envolé, passant de 16.000 dollars en décembre 2022 à 63.000 aujourd’hui. « Le moteur du minage, c’est le prix du prix du bitcoin. Plus il est cher, plus c’est rentable de miner et plus il y a des mineurs en compétitions », pointe Alexandre Stachtchenko, directeur stratégie chez la plateforme d’échange crypto Paymium.

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Bitcoin, un bourreau pour le climat …

Mais ce sont surtout les sources d’énergie utilisées pour alimenter toutes ces machines qui pose vraiment problème aux détracteurs de la cryptomonnaie,

Selon l’index de Cambridge, le Bitcoin émettrait actuellement 87 mégatonnes de CO2 par an, soit un peu moins que les émissions de la Belgique (116 MtCO2). Un rapport de la même université, paru en septembre 2022 indiquait notamment que la principale source d’énergie pour le minage du Bitcoin était le charbon avec 36 %, suivi par le gaz avec 25 %. Au final, toujours selon Cambridge, 62 % du mix énergétique de la monnaie numérique était encore composé d’énergies fossiles, lors de la publication de l’étude.

« Il y a quelques années, de nombreux mineurs s’installaient en Mongolie ou au Kazakstan où l’électricité au charbon était subventionnée mais depuis 2021, nombre d’entre eux ont été chassés », nuance Alexandre Stachtchenko.

Faute de données fiables pour l’industrie, il est très difficile de connaître en temps réel les sources d’énergies utilisées par les mineurs. Pour autant, le directeur stratégie de Paymium affirme que « le marché a énormément changé en deux ans et qu’il devrait dorénavant utiliser moins de 20% de charbon. » Et pour cause, avec la flambée des prix des énergies fossiles, dont le charbon, les mineurs se sont détournés de ces dernières. « A 3,5 ou 4 centimes le kilowattheure, ce n’est plus rentable. A moins d’être propriétaire d’une mine, il n’y a aucun intérêt à miner avec cette énergie », affirme Sébastien Gouspillou, co-fondateur de la société de minage Bigblock group qui va même jusqu’à estimer à seulement 4% la part du charbon dans le mix énergétique du minage. Ainsi, « nous voyons que les mineurs se tournent de plus en plus vers les énergies “perdues” qui sont très peu chères voire gratuites », analyse Justine Destobbeleire.

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… ou une solution écologique ?

Parmi ce type d’énergies dites « perdues », l’utilisation des « torchères », ces fuites de méthane brûlées provenant de puits de pétrole n’ayant pas les infrastructures pour récupérer le gaz, en est l’exemple le plus parlant. A la recherche de l’énergie la moins chère possible, les mineurs ont vite compris l’intérêt d’utiliser ces flammes perdues pour alimenter leurs machines. « Cela incite notamment les pétroliers à brûler le méthane plutôt que le laisser à l’air libre ce qui est beaucoup plus polluant », prétend le directeur stratégie de Paymium. Ainsi, ces solutions brandies par l’industrie comme « négatif en carbone » (dont fait partie le torchage) représentent dorénavant 17,9% de la consommation totale du réseau, selon Daniel Batten co-fondateur de CH4 Capital une société ayant pour but d’éliminer le méthane de l’atmosphère.

A l’image de l’utilisation des mineurs au Texas, l’utilisation des surplus de production électrique constitue l’autre grande tendance chez les mineurs. Le Texas par exemple a décidé de solliciter ces derniers pour absorber le trop-plein d’énergie produit par les centrales photovoltaïques ou éoliennes lors des pics en échange d’une petite partie de leurs revenus. La société française Bigblock group a, elle, opté pour une solution similaire mais en Afrique.

« Beaucoup de compagnies d’électricité africaines exploitant des barrages hydrauliques ou des centrales solaires ont une production beaucoup plus importante que leur demande puisque beaucoup de gens ne sont pas encore raccordés. Les gouvernements ont donc compris l’intérêt de faire appel aux mineurs pour rentabiliser leurs investissements en attendant que la demande arrive », explique Sébastien Gouspillou.

Une solution gagnante-gagnante selon lui puisqu’elle permet à sa société d’avoir accès à de l’électricité à deux ou trois euros le kilowattheure et « devrait perdurer pendant 10 ans le temps que les populations soient suffisamment raccordées », estime le mineur.

Reste que pour le mineur, « le verdissement du Bitcoin va dépendre des prix du charbon dans le futur. » D’ailleurs, la tendance pourrait encore s’inverser puisque après avoir flambé et être passé de 50 euros la tonne en 2021 à plus de 300 dollars en 2022, le prix du charbon est retombé sous les 150 euros aujourd’hui. Surtout, le mineur français s’inquiète de la place grandissante qu’occupe le gaz dans le mix énergétique du Bitcoin. « Aujourd’hui de nombreux puits de gaz, en Argentine ou dans la péninsule arabique, servent à miner puisque leurs États n’ont pas les moyens de les raccorder au réseau », alerte Sébastien Gouspillou. Le verdissement des cryptos devrait donc prendre encore un peu de temps, au grand dam de ses défenseurs.

Maxime Heuze

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