mardi, avril 30

Qu’est-ce qu’une « bonne viande » ? Entre bien-être animal et défense de l’environnement, la réponse tourne au casse-tête

C’est l’une des promesses de nombreuses marques agroalimentaires afin de satisfaire la demande des consommateurs : celle de proposer une viande « meilleure », c’est-à-dire davantage compatible avec leurs nouvelles inquiétudes environnementales, éthiques, sociales et économiques. Mais qu’est-ce qu’une « meilleure viande »? Un rapport publié par le World Resources Institute (WRI) le 16 avril, tentant de répondre à cette question, souligne sa complexité.

« Il n’y a pas de solution unique pour s’attaquer simultanément à toutes les priorités » (la réduction des gaz à effet de serre, la consommation en eau, les pollutions, les effets sur la biodiversité, le bien-être animal, mais aussi le soutien à l’agriculture locale etc.) lorsqu’il s’agit d’améliorer l’élevage, remarque l’étude. Une source de contradictions potentielles que les entreprises, mais aussi les décideurs publics et les consommateurs, devraient avoir à l’esprit afin d’orienter leurs choix, note le think tank américain -connu notamment pour son application web permettant une surveillance en temps réel des forêts mondiales, le Global Forest Watch.

Plus de poulets que de bœufs abattus par gramme de protéine

Ce qui permet d’accroître le bien-être animal peut en effet notamment avoir un impact négatif en termes d’empreinte carbone, met en garde le WRI. Un risque clair lorsqu’on compare les types de viande entre eux, et notamment la viande bovine avec le poulet.

Certes, la première « figure parmi les options de protéines animales les plus émettrices de gaz à effet de serre (GES). Elle nécessite sept fois plus de terres et génère sept fois plus d’émissions de GES que le poulet par gramme de protéines ». Mais remplacer le bœuf par du poulet implique « l’abattage de beaucoup plus d’animaux pour la même quantité de protéines servie aux clients », rappelle le rapport.

Chart showing that sourcing meat with lower GHG emissions, like chicken, often leads to more animals being slaughtered for the same amount of protein.

Une vie plus longue implique plus d’émissions de méthane

Les résultats de l’étude sont plus nuancés, mais encore plus contre-intuitifs, lorsque le WRI compare les systèmes d’élevage entre eux: notamment les systèmes de production conventionnels d’une part et l’agriculture biologique, l’alimentation à l’herbe et l’élevage en liberté de l’autre. Alors qu’ils impliquent d’évidents bénéfices en matière de bien-être animal, mais aussi d’antibiorésistance, les deuxièmes engendrent en effet « un impact environnemental supérieur par gramme de protéines », conclut le think tank, après avoir analysé 45 études menées en Amérique du Nord et en Europe entre 2000 et 2022 à ce sujet. Cela a été en effet le cas dans 75% des points de données étudiés, précise le rapport.

Les raisons principales sont doubles.

Tout d’abord, lorsqu’ils sont nourris à l’herbe, « les bovins grandissent plus lentement et émettent plus de méthane au cours de leur vie que dans les systèmes conventionnels nourris aux céréales, où ils sont engraissés au cours des derniers mois de leur vie dans des parcs d’engraissement. Cela conduit à des émissions agricoles de GES plus élevées par gramme de protéine produite, par rapport aux systèmes conventionnels », note l’étude.

Plus de terres pour l’élevage extensif

Deuxièmement, « les systèmes alternatifs ont également tendance à nécessiter davantage de terres par gramme de protéines, que ce soit pour le pâturage, pour augmenter l’espace dans les systèmes confinés ou pour la production d’aliments ».

« Cela a d’importantes implications climatiques : l’expansion continue des terres agricoles entre en conflit avec les objectifs urgents visant à mettre fin à la déforestation et à restaurer les écosystèmes, qui seront nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux », ajoute le WRI.

La prise en compte de la réduction des émissions de GES à la ferme, liés par exemple à la non utilisation d’engrais chimiques pour la production de cultures fourragères biologiques, ne compense pas les effets de cette plus grande utilisation des terres: même en incluant cette donnée, « les impacts climatiques globaux par gramme de protéines (des systèmes d’élevage alternatifs restent, ndlr) plus élevés que les systèmes conventionnels dans plus de 90% des cas ».

Des impacts climatiques qui peuvent encore être réduits

L’étude ne conclut pas pour autant à l’inutilité des systèmes alternatifs d’élevage – dont l’impact environnemental est d’ailleurs moindre dans un quart des cas, voire dans la moitié des cas pour ce qui est de la seule consommation d’eau. Le WRI note en effet la non prise en compte dans les études analysées de la question -complexe- des impacts sur la biodiversité et sur la santé des sols. Elle rappelle aussi la possibilité d’encore « réduire les impacts climatiques et environnementaux au sein des systèmes de production existants, qu’ils soient conventionnels ou alternatifs », , en augmentant la productivité, mais aussi en recourant à des additifs alimentaires ou en améliorant la gestion du fumier.

Surtout, l’institut de recherche souligne que les émissions accrues de GES liées à la production de certaines « meilleures » viandes peut être compensée par une encore plus forte diminution de la consommation. Ceci est vrai pour les entreprises, qui en réduisant par exemple leurs achats de bœuf pourront s’approvisionner en poulet de meilleure qualité tout en atteignant leurs objectifs climatiques. Mais aussi pour les particuliers, qui en mangeant moins d’hamburgers pourront consommer plus de produits animaux biologiques, et ainsi concilier leurs préoccupations éthiques et climatiques, remarque le rapport.

La demande de viande, facteur clé

Au niveau des pays, cela confirme le risque d’une « délocalisation » de l’utilisation des terres et des impacts climatiques de l’élevage dès lors que les politiques publiques de réduction des émissions à la ferme ne sont pas accompagnées de politiques de réduction nationale de la consommation de viande et de produits laitiers.

« De même, les politiques qui cherchent à réduire les émissions nationales en réduisant simplement la quantité globale d’animaux élevés (et de viande et de produits laitiers) dans un pays risquent également d’avoir des répercussions à l’étranger, étant donné que la demande mondiale de viande et de produits laitiers continue de croître », ajoute le WRI.

Giulietta Gamberini

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