lundi, avril 29

Taxe sur les superprofits : après le dérapage du déficit public, les énergéticiens de nouveau dans le collimateur de l’Etat

L’Etat va-t-il ponctionner davantage les énergéticiens pour tenter d’absorber une partie de son déficit public, qui a dérapé à 5,5% du produit intérieur brut, contre les 4,9% initialement prévus ? C’est en tout cas une des pistes qu’entend étudier le gouvernement. Celui-ci pourrait, en effet, taxer davantage les superprofits de ces entreprises en remodelant la Contribution sur les rentes inframarginales (CRIM), instaurée au second semestre 2022 au moment où les producteurs pouvaient vendre des mégawattheures à des prix mirobolants sur le marché de l’électricité.

Interrogé sur RTL ce mardi matin, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire ne s’est pas montré fermé à l’idée d’un élargissement et d’un durcissement de cette taxe, tout en restant résolument opposé à toute autre augmentation d’impôts, y compris sur les entreprises.

« Si on veut combler ce trou sur la base de prélèvements sur une rente, là ça ne me pose pas de difficultés », a-t-il admis, en faisant référence à l’immense gouffre entre les rendements prévisionnels de la CRIM et les recettes fiscales réellement perçues.

Un manque à gagner de 2,7 milliards d’euros

En effet, le gouvernement avait tout d’abord estimé que cette taxe sur les superprofits pourrait rapporter une grosse dizaine de milliards d’euros aux caisses de l’Etat : 12,3 milliards d’euros très précisément. Cette estimation, qui reposait sur l’hypothèse selon laquelle les prix de l’électricité allaient se maintenir à des niveaux extrêmement hauts, était largement erronée. Et pour cause, les prix sur les marchés de gros ont sensiblement chuté grâce à la combinaison de plusieurs facteurs : la plus grande disponibilité du parc atomique tricolore, le bon niveau des stocks de gaz et des réserves d’eau dans les barrages, mais aussi une demande énergétique des ménages et des entreprises en nette baisse. Le rendement de cette taxe avait donc été réévalué à seulement 3 milliards d’euros à l’occasion de la loi de finances de fin de gestion (LFG) 2023.

Mais dans les faits, seuls 300 millions d’euros sont réellement entrés dans les caisses de l’Etat au titre de l’année 2023, soit un montant dix fois inférieur à celui précédemment escompté. « Le manque à gagner s’élève donc à 2,7 milliards d’euros », reconnaît l’entourage de Bruno Le Maire. Et sur les années 2022 et 2023, le rendement total de la CRIM devrait seulement s’élever à 600 millions d’euros. A des années-lumière donc des 12,3 milliards d’euros initialement escomptés.

Une taxe revisitée… avec effet rétroactif ?

Ce décalage « peut être attribué à la baisse des prix de marché », commente sobrement le cabinet du patron de Bercy, lequel précise que le gouvernement à l’intention d’étudier le « rapport de la Cour des comptes » dans l’optique de « renforcer » cette taxe « pour être sûr de bien capter toutes les rentes ».

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Dans le détail, la juridiction financière estime, dans un rapport publié le 15 mars dernier, que les seuils retenus par l’Etat pour la captation des rentes auraient été trop élevés. Le document souligne également le fait que certaines filières soient restées exclues du champ de cette contribution, notamment les réservoirs hydrauliques.

Le gouvernement pourrait donc être amené à revisiter les modalités de calcul et l’assiette de cette contribution dans un prochain véhicule législatif afin d’augmenter son rendement, et ce, même pour les mois passés. « La petite rétroactivité est toujours possible », précise Bercy.

« La probabilité que les prix remontent reste faible »

Reconduite en 2024, cette contribution pourrait également l’être en 2025. Mais pour quelle efficacité ? Car même si elle était remaniée, les rendements attendus devraient demeurer relativement faibles, étant donné la faiblesse des prix de l’électricité sur les marchés.

« Dimanche 24 mars, le prix de gros était égal à zéro de 3 heures du matin jusqu’à 16 heures », pointe Jacques Percebois, économiste et spécialiste des questions énergétiques. « La probabilité que les prix remontent en 2024 est relativement faible. Il ne faut donc pas s’attendre à d’importantes recettes issues de cette contribution. Selon moi, il s’agit ici plutôt d’une annonce politique pour montrer que le gouvernement reste vigilant sur ces questions », poursuit-il.

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Possibles obstacles juridiques

Par ailleurs, la prolongation de cette taxe pourrait se heurter à des obstacles juridiques. « Le fait que le gouvernement souhaite prolonger une taxe sur les superprofits, mais uniquement pour les énergéticiens et non pour l’ensemble des entreprises pose question. Le Conseil constitutionnel pourrait estimer que l’égalité devant les impôts n’est pas respectée », pointe Jacques Percebois. « Il y aura certainement des recours », anticipe-t-il.

Selon nos confrères des Echos, plusieurs énergéticiens auraient même déjà saisi le Conseil d’Etat, dénonçant, cette fois-ci, l’illégalité d’un dispositif qui dépasserait largement le cadre du règlement européen dans lequel il était censé s’inscrire. Ce dernier demandait aux Etats membres de plafonner les marges des énergéticiens uniquement du 1er décembre 2022 au 30 juin 2023.

Les professionnels de l’électricité dénoncent une vision courtermisme

Du côté des électriciens, les propos de Bruno Le Maire passent mal.

« La réforme du cadre de marché, initialement prévue dans le projet de loi Souveraineté énergétique [qui n’est plus à l’agenda parlementaire, ndlr], doit permettre d’éviter les taxations exceptionnelles comme la contribution sur la rente infra-marginale, qui risque de freiner les investissements dans les énergies bas carbone nécessaires à l’atteinte des objectifs de décarbonation, » commente l’Union française de l’électricité (UFE).

L’association de professionnels rappelle à cette occasion que ces objectifs de décarbonation « sont déjà affectés par l’absence de décision quant à la programmation énergétique ». Elle appelle ainsi le gouvernement à « explorer les pistes structurelles pour réformer [la] politique fiscale (…) plutôt que de prendre des décisions de court terme ».

Qui a payé quoi ?

La contribution sur les rentes inframarginales vise essentiellement les électriciens qui ont pu dégager des profits considérables en vendant sur les marchés des mégawattheures à des prix largement supérieurs à leurs coûts de production. Mais peu d’entre eux communiquent aujourd’hui sur les montants effectivement versés à l’Etat à ce titre.

Contactés par la rédaction, Engie et TotalEnergies, n’ont, pour l’heure, pas répondu à nos sollicitations. Pour EDF, le montant de la CRIM au titre de l’année 2023 s’élève à 21 millions d’euros. Toutefois, grâce au mécanisme de report en avant, l’électricien n’a pas été contraint de payer cette somme en 2023. EDF devra la verser en 2024 mais le montant pourrait être plus élevé selon les nouveaux calculs.

Juliette Raynal

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