lundi, avril 29

Tensions Iran-Israël : un blocage du détroit d’Ormuz ferait « changer le conflit de dimension »

Le regain de tensions entre l’Iran et Israël relance la menace d’un blocage du détroit d’Ormuz, corne maritime stratégique entre Oman et l’Iran, pour le commerce mondial de pétrole. Dans la nuit de samedi à dimanche, Téhéran a lancé des centaines de drones et de missiles en direction du territoire israélien, en réponse à une frappe, le 1er avril, sur l’annexe consulaire de l’ambassade iranienne à Damas (Syrie), attribuée à Israël.

Samedi, l’Iran a saisi un porte-conteneurs accusé d’être « lié » à Israël avec 25 membres d’équipage à bord dans les eaux du Golfe, près du détroit d’Ormuz. L’Iran, qui se considère comme le gardien du Golfe, dénonce régulièrement la présence de forces étrangères, notamment la Ve Flotte américaine stationnée à Bahreïn. Téhéran a menacé à plusieurs reprises de bloquer le détroit d’Ormuz, en cas d’action militaire des États-Unis dans la zone.

20 millions de barils de pétrole par jour

Selon l’économiste Philippe Chalmin, spécialiste des marchés de matières premières, « si l’Iran bloquait le détroit d’Ormuz », le conflit « changerait de dimension ». Le président-fondateur du Cercle Cyclope, interrogé par La Tribune, rappelle que ce détroit voit passer près de 20 millions de barils de pétrole par jour, soit « un tiers des exportations mondiales ».

Le détroit d’Ormuz constitue de loin la principale voie de navigation connectant les riches pays pétroliers du Moyen-Orient avec les marchés asiatique, européen et nord-américain. En 2022, environ 21 millions de barils de brut y circulaient quotidiennement, selon l’Agence américaine de l’Energie (EIA), soit 20% de la consommation mondiale.

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Une perturbation même temporaire de la navigation dans ce détroit peut faire grimper les prix mondiaux de l’énergie. Seuls l’Arabie saoudite et les Emirats disposent d’un réseau d’oléoducs leur permettant de contourner le détroit d’Ormuz, souligne l’EIA.

Mais « même si une partie peut sortir par les Émirats arabes unis, bloquer le détroit d’Ormuz serait suffisamment important pour que les 100 dollars le baril soient largement dépassés », déclare Philippe Chalmin.

Des conséquences importantes sur le marché du gaz

L’autre conséquence d’un blocage du détroit d’Ormuz concerne « le gaz du Qatar » qui y transite, selon le spécialiste. « Le Qatar fait partie des trois grands exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL) avec les Etats-Unis et l’Australie, qui pèsent chacun près d’une dizaine de millions de tonnes, sur un marché mondial qui en fait 60 millions », explique Philippe Chalmin.

« C’est quand même très important. Si les exportations de gaz du Qatar se trouvaient bloquées, cela aurait des conséquences sur le marché du GNL, qui se répercuteraient immédiatement sur le marché européen », affirme le professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine, qui évoque un « scénario catastrophe ».

« C’est l’arme atomique pour les Iraniens, lance l’économiste, qui rappelle toutefois que l’Iran « dépend totalement du pétrole » et n’a pas intérêt à une telle escalade.

Pour Francis Perrin, directeur de recherche, professeur à l’IRIS et spécialiste des questions énergétiques dans le monde arabe, il semble également peu probable que l’Iran opère un blocage du détroit d’Ormuz.

« Le régime de la République islamique n’étudierait cette option que s’il se sentait profondément menacé. En l’état, il n’y a pas intérêt puisque cela entraînerait une guerre, et pas seulement avec Israël mais également avec les États-Unis. Par ailleurs, cela bloquerait ses propres exportations de pétrole », explique le professeur.

Des perturbations majeures dans les années 1980

Ce sont les Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique iranienne, qui contrôlent les opérations navales dans le Golfe et sont chargés d’assurer la sécurité du détroit. Une des perturbations majeures du transport pétrolier remonte à 1984, en plein conflit Iran-Irak (1980-1988), durant la « guerre des pétroliers ». Plus de 500 navires avaient été détruits ou endommagés.

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En juillet 1988, un Airbus A-300 d’Iran Air, assurant la liaison entre Bandar-Abbas et Dubaï, avait été abattu par deux missiles d’une frégate américaine patrouillant dans le détroit : 290 personnes ont été tuées. L’équipage de l’USS Vincennes avait affirmé avoir pris l’Airbus pour un chasseur iranien animé d’intentions hostiles.

Les incidents se multiplient depuis 2018

Les incidents se sont multipliés dans cette zone maritime depuis qu’en 2018, les Etats-Unis se sont retirés de l’accord international visant à geler le programme nucléaire iranien et ont réimposé des sanctions à la République islamique. En 2019, des attaques mystérieuses contre des navires dans la région du Golfe, un drone abattu et des pétroliers saisis, avaient fait craindre une escalade entre Téhéran et Washington.

Le 29 juillet 2021, une attaque en mer d’Oman contre un pétrolier géré par la société d’un milliardaire israélien a fait deux morts, britannique et roumain. Israël, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Roumanie ont accusé Téhéran, qui a démenti toute implication.

En août 2023, les Etats-Unis ont déployé plus de 3.000 soldats en mer Rouge pour dissuader l’Iran de s’emparer de pétroliers, tandis que des marines occidentales avaient déconseillé aux navires transitant par le détroit d’Ormuz de s’approcher des eaux iraniennes afin d’éviter tout risque de saisie.

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L’armée américaine affirmait alors que l’Iran a saisi ou tenté de s’emparer de près de 20 navires battant pavillon international dans la région au cours des deux dernières années. En décembre, Washington a annoncé la formation en mer Rouge d’une coalition de dix pays afin de faire face aux attaques répétées des Houthis contre des navires qu’ils considèrent comme « liés à Israël ».

Un détroit particulièrement vulnérable

Le détroit d’Ormuz, qui relie le Golfe au golfe d’Oman, est situé entre l’Iran et le sultanat d’Oman. Il est particulièrement vulnérable en raison de sa faible largeur, 50 kilomètres environ, et de sa profondeur, qui n’excède pas 60 mètres. Il est parsemé d’îles désertiques ou peu habitées, mais d’une grande importance stratégique : les îles iraniennes d’Ormuz, et celles de Qeshm et de Larak, face à la rive iranienne de Bandar Abbas. La rive omanaise, la péninsule du Musandam, forme un index pointant vers l’Iran, séparé du reste du sultanat par des terres appartenant aux Emirats.

Au large des Emirats, les trois « îles stratégiques » – la Grande Tomb, la Petite Tomb et Abou Moussa – constituent un poste d’observation sur toutes les côtes des pays du Golfe : Emirats, Qatar, Bahreïn, Arabie saoudite, Koweït, Irak, Iran et Oman. Elles sont occupées par l’Iran depuis 1971, après le départ des forces britanniques de la région.

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