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À Lyon, l’un des plus grands méthaniseurs territoriaux compte offrir une seconde vie aux eaux usées en 2029

Il s’agit d’un projet circulaire au format « XXL » : le futur méthaniseur territorial de la Métropole de Lyon pourrait offrir une seconde vie aux eaux usées de la collectivité à horizon 2029. Ce, en créant une vaste usine de méthanisation – l’une des plus grandes de France avec des projets franciliens – au niveau de la station d’épuration d’Oullins-Pierre-Bénite (Rhône), par ailleurs reliée à celle de Saint-Fons par des tuyauteries passant sous le Rhône. À elles deux, elles représentent les plus grandes des douze stations de traitement de l’eau de la région lyonnaise, qui épurent ensemble chaque année quelque 120 millions de mètres cubes d’eau, rejetés en aval.

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Un projet aujourd’hui présenté comme « particulièrement vertueux » par la majoritaire écologiste : la production locale de « gaz vert » contribuerait à réduire la dépendance au gaz naturel venu de l’étranger, représentant toujours plus de 95 % du gaz distribué par GRDF en Auvergne-Rhône-Alpes l’année dernière. De même, le biométhane (44 gCO2e/kWh) émet « 80 fois moins de gaz à effet de serre » que l’extraction et l’utilisation de gaz fossile, indique le cabinet de conseil Carbone 4.

Éviter l’émission de 20.000 tonnes de CO2 par an

L’idée du Grand Lyon, ici, n’est pas nouvelle : il s’agit de profiter de la présence de ces milliers de tonnes de « boues », ces résidus organiques issus du traitement des eaux usées des habitants et jusqu’ici incinérées, pour les faire fermenter et en dégager plusieurs utilités.

La première consiste à générer jusqu’à 77 GWh de biométhane par an, soit l’équivalent de la consommation énergétique de 13.000 logements ou de 300 bus du Sytral. Ce biogaz viendrait ici directement remplacer le gaz fossile et éviter l’émission de « 20.000 tonnes de CO2 par an », ajoute la collectivité.

Elle correspondrait également à l’équivalent du « double de la consommation de gaz de la Métropole pour l’ensemble de ses bâtiments publics, en 2029 », dépeint son vice-président Philippe Guelpa-Bonaro. Sachant qu’une plus petite unité est déjà en fonctionnement depuis 2018 : celle de La Feyssine, située entre Villeurbanne et Vaulx-en-Velin, qui produit 6 GWh d’énergie chaque année.

Mobilités ou bâtiments métropolitains : « tous les besoins en propre seraient comblés » avec ce projet initialement prévu en deux temps, mais dont la production a finalement été revue à la hausse l’année dernière, passant de 48 GWh d’abord annoncés à 77 GWh aujourd’hui.

Pour autant, si ce procédé est désormais bien identifié par certaines grandes collectivités territoriales et en phase de croissance en France, Lyon n’a pas encore arrêté son modèle économique, ni ses usages : la collectivité tranchera en 2025 entre une utilisation directe (notamment pour faire circuler ses bennes à ordures) et le recours à un fournisseur d’énergie, en injectant ce biométhane dans le réseau.

« Ce sera la phase des mois à venir, indiquait l’élu en janvier dernier. Nous n’avons pas encore tranché, mais l’objet des études de 2024 et 2025 sera de savoir ce qu’on fait de ce biogaz. Et l’utiliser le plus pertinemment possible. »

PFAS, pollutions : les défis de la « circularité »

D’un autre côté, cette infrastructure permettrait également de nourrir d’autres filières. Anne Grosperrin, vice-présidente déléguée au cycle de l’eau, explique que « la réflexion porte sur le caractère circulaire du projet » qui « permet une valorisation en énergie et en matières, sur tout le territoire ».

En effet, les boues fermentées forment un « digestat » qui pourra à son tour être valorisé : les matières les plus riches en azote et en phosphore seraient compostées et dirigées vers le secteur agricole, afin de « remplacer les intrants chimiques ».

« La première étape a été une étude menée avec la Chambre d’agriculture pour vérifier nos capacités à épandre le compost du digestat issu de la méthanisation sur les terres agricoles de la périphérie de la métropole, ajoute Anne Grosperrin. Ce qui s’est confirmé : sur cinquante kilomètres autour de la Métropole, nous avons largement la capacité d’épandre ce gisement ».

Pour autant, plusieurs acteurs s’interrogent sur la qualité des boues ensuite épandues, comme l’indiquent notamment nos confrères de Mediacités ou encore du Progrès. PFAS, micro plastiques ou encore molécules médicamenteuses : si ces polluants sont aujourd’hui extrêmement difficiles et coûteux à traiter (lire notre encadré ci-dessous), et se retrouvent notamment dans les eaux du Rhône en aval, pourraient-ils également être diffusés sur les terres agricoles, via l’épandage des boues ?

Sur ces questions, Anne Grosperrin soutient qu’il y a effectivement « un véritable problème avec les micro-polluants et qu’il faudra trouver des solutions ».

« La problématique, c’est que lorsqu’on demande aux stations de traiter les micropolluants, on ne les réduit pas à la source. Trouver les technologies toujours les plus pointues pour traiter l’eau, c’est une fuite en avant. Il faut supprimer ces pollutions, sortir de l’ère du plastique, arrêter les intrants chimiques, aller vers le zéro phyto : nous connaissons les solutions, elles sont identifiées », déclare l’élue écologiste.

De même, il est ici question du calendrier : le méthaniseur serait lancé en 2029, soit trois ans après la mise en place d’une réglementation sur les PFAS et d’une nouvelle directive européenne sur l’eau, en préparation. D’un autre côté, le Grand Lyon mène en ce moment une action en justice contre Arkema et Daikin, afin de tenter de faire appliquer le principe de « pollueur-payeur ».

Une récupération de chaleur

En parallèle, l’autre moitié du digestat, plus pauvre en nutriments, serait quant à elle incinérée dans une « potentielle nouvelle infrastructure », afin de chauffer de l’eau ensuite distribuée dans le futur réseau de chaleur urbain de l’Ouest lyonnais, à raison de 11 GWh d’énergie par an.

Quant à l’incinérateur de déchets de Gerland, « il va être modifié, voire un nouveau sera construit, beaucoup plus optimal, car il y a un enjeu de réglage des particules fines pour limiter au maximum les rejets atmosphériques », indiquait en janvier Philippe Guelpa-Bonaro.

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Cette stratégie accompagne par ailleurs l’extension progressive du maillage des réseaux de chaleur. Le Grand Lyon accompagne en ce moment plusieurs projets, à plusieurs niveaux de maturité : la récupération de la chaleur fatale de l’industriel Tokai Cobex Savoie, un projet de nouvelle chaufferie biomasse, des pompes à chaleur à absorption dans la station d’épuration d’Oullins-Pierre-Bénite, et désormais ce projet de récupération de la chaleur venues des eaux usées.

Un investissement de 80 millions d’euros

L’investissement total est à ce jour estimé à 80 millions d’euros pour le futur méthaniseur. Il serait porté à majorité par la Métropole de Lyon, mais aussi par l’Etat (engagé à hauteur de 6,4 millions d’euros dans le CPER) et par la Région Auvergne-Rhône-Alpes (1 million d’euros dans le CPER). Tandis que la Métropole attend également un retour de l’Agence de l’eau et des orientations du fonds européen Feder, fléché par la Région.

« La délibération de décembre 2023 autorise la Métropole à lancer une procédure de consultation pour trouver une entreprise en marché global de performance qui va concevoir, construire et exploiter pendant un an le méthaniseur et l’incinération. Une fois une montée en puissance de neuf mois, puis un exercice d’un an, la Métropole de Lyon reprendra en régie publique l’exploitation du méthaniseur », détaille Philippe Guelpa-Bonaro.

La collectivité annonce avoir lancé ce marché global de performance au premier trimestre 2024. De même, l’exécutif métropolitain souhaite ajouter de nouveaux objectifs sur la méthanisation dans le prochain Plan climat air énergie territorial (PCAET), en cours d’élaboration et qui sera voté en 2025, pour une application prévue entre 2026 et 2031.

Pollution aux PFAS et aux micro-plastiques : de forts enjeux pour les stations d’épuration lyonnaises

Un autre défi concerne celui de la quantité et de la qualité de l’approvisionnement en eau pour la Métropole de Lyon, dans un contexte de diminution de 20 % en moyenne des débits d’étiage sur Rhône en raison du changement climatique, selon l’Agence de l’eau. Autant d’éléments qui nécessitent des investissements conséquents sur les stations de pompage et d’assainissement de l’eau, en amont comme en aval. Ces dernières réceptionnent en effet chaque année quelque 2.500 tonnes de macrodéchets. En période de fortes pluies, les déversoirs d’orages de la capitale des Gaules rejettent 110 tonnes de déchets supplémentaires vers la Méditerranée. Cela, sans compter les micro-plastiques et autres polluants invisibles :

« La question des micropolluants est extrêmement présente aujourd’hui, que ce soit des microparticules de plastiques, comme d’autres polluants, du type PFAS ou pesticidesDes pollutions qui ne peuvent pas être traitées dans les stations avec les systèmes actuels », remarquait Anne Grosperrin en janvier.

A ce titre, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne se sont accordés en début d’année sur une révision de la Directive européenne sur les eaux résiduelles urbaines (DERU), prévoyant un renforcement du traitement des eaux usées (avec jusqu’à trois à quatre lignes d’épuration), des objectifs de réutilisation des eaux usées, mais aussi une responsabilité élargie des producteurs (REP), afin de couvrir les coûts des traitements supplémentaires.

La directive doit désormais être adoptée par les deux organes européens afin d’entrer en vigueur, puis être appliquée dans les Etats membres à partir de 2026.

Pour l’élue écologiste, elle « devrait amener des contraintes importantes sur le traitement des micropolluants, lesquels ne peuvent pas être traités aujourd’hui dans les stations d’épuration avec les process en œuvre. Si elle est votée telle quelle, ce serait une révolution avec des milliards d’investissements à l’échelle du pays. On regarde ça de très près ».

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