dimanche, avril 28

Bourse : Bercy veut rivaliser avec la City sur les actions à droit de vote multiple

La course au désarmement réglementaire est devenue l’alpha et l’oméga de la compétitivité des places financières. L’introduction prochaine en France des actions à droit de vote multiple, envisagée sous conditions depuis 2022 par le Haut comité juridique de la place de Paris, et désormais consacrée par le dépôt ce jeudi de la proposition de loi du député Alexandre Holroyd (par ailleurs président du conseil de surveillance de la Caisse des dépôts), en est à nouveau un exemple.

Ce texte, co-construit avec les services de Bercy, à l’initiative du ministre de l’Economie Bruno Le Maire, au retour d’ailleurs d’une visite à Wall Street en décembre dernier, se veut le deuxième volet du « déploiement de la politique d’attractivité financière de la place de Paris », mise en place depuis le vote britannique en faveur du Brexit.

Avec un certain succès alors que Paris s’affirme de plus en plus comme le « hub » financier de l’Union européenne, tandis que Londres fait le choix de devenir une place off-shore. Selon Bercy, quelque 6.000 emplois directs ont été créés dans la finance, grâce notamment à l’installation des grandes banques américaines à Paris, et le solde commercial excédentaire des services financiers a été multiplié par 2,5 depuis 2017 à 12 milliards d’euros en 2023.

Choc de compétitivité

Sur la question du droit de vote multiple, Bercy et le député assument clairement la rupture, « un choc de compétitivité », selon l’expression d’un membre du cabinet de Bruno Le Maire. « On veut clairement se mettre à égalité avec les places financières les plus compétitives », ajoute cette source de Bercy, en allant même « plus loin » que la réglementation de la City, qui a autorisé le droit de vote multiple sur son segment premium en 2022. Amsterdam, qui accueille notamment le holding Exor de la famille Agnelli (et aussi Stellantis), est également ciblée comme d’ailleurs la place de Milan qui récemment autorité jusqu’à dix droits de vote par action.

Le droit de vote double serait en effet la martingale pour inciter les startups (ou scale-ups) à venir se faire coter en Bourse à Paris, sans effrayer les fondateurs qui souhaitent malgré tout conserver le contrôle de leur boîte. Ce serait, aux yeux de Bercy, très friand de licornes (valorisation de plus d’un milliard d’euro en non coté) et autres startups, le moyen de nourrir encore le plus l’écosystème French Tech, et même d’attirer des sociétés de technologie européennes à Paris.

Peu de garde-fous

Le texte prévoit peu de garde fous, et notamment une absence de plafonnement du nombre de droits de vote attaché à une action à droit de vote multiple. Il est cependant prévu une limitation dans la durée de ces actions à droit de vote multiple, une durée assez longue de dix ans, renouvelable une fois pendant cinq ans. Ces actions sont également intuitu personae (confondateurs…) et elles concernent en principe des secteurs spécifiques, comme la Tech.

Reste à convaincre les investisseurs et futurs actionnaires, notoirement hostiles aux droits de vote multiples, comme d’ailleurs les agences de conseil de vote, attachées au principe « une action, un vote ». Rappelons que de grands groupes cotés, comme TotalEnergies, ont renoncé aux actions à droit de vote double, autorisées par la loi Florange de 2014 pour favoriser l’actionnariat de long terme, suite aux pressions des actionnaires, notamment américains.

Manque d’appétit

« Nous proposons, comme toutes les places les plus compétitives, un modèle contractuel », souligne-t-on à Bercy. C’est-à-dire qu’il y aura toujours une négociation avant l’entrée en Bourse entre les fondateurs et le management avec les investisseurs potentiellement intéressés. Et si les fondateurs se montrent trop gourmands, cela pourrait faire fuir les investisseurs. C’est du moins ce qu’espèrent les promoteurs du texte.

Cette mesure sera saluée par le monde de la Tech. Mais elle ne sera pas suffisante pour créer une profondeur de marché réellement compétitive en Europe pour rivaliser avec les Etats-Unis dans le domaine de la Tech. Car le vrai défi reste le manque d’appétit des investisseurs européens pour les actions, pour les valeurs de croissance, pour la Tech.

« Le CAC 40 vole de record en record et il n’y pas un sou qui rentre dans les fonds actions », se plaint ainsi un gérant. C’est pourquoi Bercy compte aussi sur son idée de relancer le projet du marché unique des capitaux pour créer enfin des effets de taille à la mesure des défis à financer pour accompagner les entreprises dans leur transition énergétique et numérique. La mission Noyer, lancée à l’initiative de Bercy, devrait rendre sa copie fin avril.

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