lundi, avril 29

Climat : le gouvernement met la pression sur TotalEnergies

Il n’y a pas que les centaines d’activistes écologistes postés à l’entrée de l’Assemblée générale de TotalEnergies qui ont fait monter la pression sur la multinationale, ce vendredi matin. Le gouvernement y a également mis son grain de sel, appelant la major à aller « plus vite » sur le développement des énergies renouvelables, et reconnaissant la légitimité des contestations. Le même gouvernement qui, quelques mois plus tôt, se félicitait des efforts consentis par l’entreprise pour opérer des ristournes sur le prix de l’essence, et comptait sur elle pour assurer la sécurité d’approvisionnement en énergies fossiles de la France, touchée par un choc d’offre sans précédent.

En effet, la Première ministre, Élisabeth Borne, a estimé vendredi que « les militants du climat » étaient « dans leur rôle d’alerter et de dire qu’il faut accélérer », alors que des échauffourées ont eu lieu avec la police, aux abords de la salle parisienne où s’est finalement tenue l’AG après l’usage de gaz lacrymogène par les forces de l’ordre. « C’est ce que porte aussi le gouvernement : il faut que tous nous accélérions sur la transition écologique », a-t-elle ajouté, tout en reconnaissant au géant pétrolier d’avoir « engagé sa transition vers les énergies renouvelables ». Un peu plus tôt dans la matinée, c’était au tour de la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, d’interpeller l’énergéticien : « Total investit dans les énergies renouvelables, mais l’enjeu, c’est d’aller plus vite, plus fort et surtout plus rapidement », a-t-elle souligné à Franceinfo, lui demandant de « mettre le paquet » sur les renouvelables.

Aux alentours de midi, l’adjoint à la mairie de Paris David Belliard (Paris en Commun-Ecologie pour Paris) s’est joint à la partie : « Personne n’a de leçon de calme à recevoir d’une entreprise dont le business détruit littéralement la planète », a-t-il twitté en réponse à message de TotalEnergies appelant à l’apaisement.

La faute à la demande des clients

Reste que du côté de l’accusé, le message n’a pas changé : certes, la société continue d’investir massivement dans de nouveaux projets pétroliers, du Brésil à l’Angola, en passant par Abu Dhabi, la Namibie ou le Suriname. Et ne compte d’ailleurs pas renoncer à son mégaprojet EACOP d’oléoduc en Tanzanie et en Ouganda, destiné à évacuer l’or noir extrait sur les rives du lac Albert, malgré l’opposition acharnée de nombreuses ONG. Mais « en réalité », la « demande de pétrole à l’échelle mondiale est en croissance, et si ce n’est pas TotalEnergies qui y répond, d’autres le feront à notre place », a affirmé vendredi son PDG, Patrick Pouyanné.

« Ce n’est pas TotalEnergies qui seul va décider quels sont les besoins de nos clients. […] Il faut continuer à assurer l’approvisionnement en énergie dont [ils] ont besoin, notamment dans les pays en développement, pour qu’ils puissent accéder à un certain niveau de vie », s’est-il défaussé.

Il s’agit aussi de « protéger le portefeuille » et « maintenir le moteur à cash de l’entreprise », avait-il justifié le 21 mars lors d’une réunion avec les investisseurs, au lendemain de la publication du rapport de synthèse du GIEC sur l’impact des combustibles fossiles sur le climat.

Rhétorique sur le rôle « positif » du gaz

Ce n’est pas tout : « si on réduit l’offre, les prix vont s’envoler ! », a-t-il insisté vendredi. Et d’ajouter : « Vous l’avez vu en 2022, ce n’est pas ce que nos clients demandent, et ce n’est pas l’idée d’une juste transition ». Il faut dire que la France a fait l’expérience douloureuse d’une flambée historique des cours de l’énergie ces derniers mois, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les déboires du parc nucléaire, poussant l’Etat à geler les tarifs du gaz et de l’électricité… et à demander à TotalEnergies de « faire des efforts » pour diminuer les factures d’essence.

« TotalEnergies a pris ses responsabilités très rapidement, nous nous sommes mobilisés pour répondre à la sécurité énergétique », a défendu Patrick Pouyanné.

La major compte d’ailleurs pivoter largement vers un autre hydrocarbure que le pétrole, sur lequel l’Europe compte d’ailleurs s’appuyer massivement et a craint de manquer ces derniers mois : le gaz. Et notamment le gaz naturel liquéfié (GNL), dont la production doit augmenter de 40% entre 2021 et 2030. . Patrick Pouyanné ne le cache d’ailleurs pas : les « moteurs de croissance » après 2027 seront principalement liés au champs gaziers où la major se déploie, notamment au Qatar (North Field East et South), aux Etats-Unis (Cameron), en Nouvelle-Guinée (Papua) ou au Mozambique.

Pour ce faire, TotalEnergies déploie une rhétorique bien huilée sur le « rôle positif du gaz dans la transition énergétique », moins polluant que d’autres combustibles fossiles. « Il permet d’assurer la fiabilité de la fourniture d’électricité à nos clients en compensant l’intermittence des énergies renouvelables, et se substitue au charbon dans la génération d’électricité de certains pays », a-t-il ainsi clamé vendredi. Avant d’affirmer que les ventes de gaz de TotalEnergies…« ont contribué à éviter 70 millions de tonnes de CO2 en 2022 ». L’entreprise peut d’ailleurs compter sur la soif du Vieux continent en GNL pour justifier sa stratégie – une question de « demande », là encore.

« Nous avons participé à la création de nouveaux points de réception du GNL en Europe […] et couvert 20% des besoins de l’Europe », s’est ainsi félicité Patrick Pouyanné.

La contestation monte aussi chez les actionnaires

Il n’empêche, la pilule passe de plus en plus mal, y compris chez l’actionnariat. Certes, 89% des investisseurs ont voté en faveur de la résolution Climat du groupe ce vendredi, soit le même pourcentage que l’an dernier. Mais, surprise : 30,44% d’entre eux ont finalement approuvé une autre résolution déposée par les activistes de Follow This, réclamant à l’entreprise d’aligner l’ensemble de ses émissions indirectes de CO2, le fameux « Scope 3 », sur une trajectoire compatible avec l’accord de Paris sur le climat.

Soit un vote bien supérieur à celui enregistré en 2020 (17%) et ceux obtenus cette année pour des résolutions similaires aux assemblées générales, elles aussi chahutées, de Shell (20,19%) et de BP (16,75%) !  Pourtant, le Conseil d’administration de TotalEnergies avait appelé à voter contre, estimant que la responsabilité de cette pollution ne lui revient pas, étant générée par ses clients lorsqu’ils se rendent à la pompe, par exemple. Visiblement surpris par un tel résultat, le groupe n’a pas souhaité faire de commentaire.

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