lundi, mai 6

Dette : le gouvernement sous la menace d’une dégradation des agences de notation

Les nuages noirs s’accumulent au-dessus du gouvernement. Après deux mois de tempête budgétaire, les agences de notation s’apprêtent à rendre leur sentence ce vendredi. Et ce, alors que la dette française a atteint 110,6% du PIB en 2023, sera à 112,3% cette année, et toujours à 112% en 2027, selon Bercy.

Ces évaluations surviennent après une avalanche de mauvaises nouvelles pour la France. En février, le gouvernement avait, dans un premier temps, annoncé 10 milliards d’euros d’économies par décret suite au déficit plus élevé que prévu à 5,5% du PIB en 2023 contre 4,9% initialement prévu. Révisant sa prévision de croissance de 1,4% à 1% pour cette année, l’exécutif a, ensuite, annoncé 10 milliards d’euros de coupes supplémentaires en 2024 et 20 milliards d’euros en 2025 au lieu des 12 milliards avancés dans un premier temps. Et Bercy prévoit dorénavant un déficit de 5,1% cette année contre 4,4% auparavant.

Dans ce contexte troublé, « la perte de crédibilité de l’exécutif dans ce domaine pourrait détériorer fortement sa popularité étant donné que la restauration des finances publiques et de la compétitivité de l’économie nationale sont au cœur de la promesse macronienne », juge Erwann Lestrohan, directeur conseil chez l’institut de sondages Odoxa.

« Et cette perte de crédibilité renforce par effet de contraste les oppositions critiques à l’égard des choix économiques de la majorité depuis de nombreuses années », ajoute-t-il. À quelques semaines des élections européennes, une possible dégradation ou une perspective négative serait un très mauvais signal pour la Macronie actuellement loin derrière le Rassemblement national (RN) dans les enquêtes d’opinion.

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Le scénario noir d’une dégradation, un enjeu aussi politique

Vendredi soir, tous les regards seront donc braqués sur le couperet des deux agences Moody’s et Fitch. Pour rappel, la première place actuellement la France à Aa2 – un cran au-dessus de Fitch – avec perspective « stable ». Critiquées pour leur opacité et leur manque de rigueur après la grande crise financière de 2008, ces agences sont revenues sur le devant de la scène dans le contexte de dégradation des finances publiques après la pandémie.

Sur le plan économique, plusieurs experts estiment que le coût est relativement limité. « L’effet [d’une dégradation] sur le coût de financement devrait rester minime, car les écarts de coûts de financement entre les ‘bons’ et les ‘mauvais’ élèves sont actuellement faibles en zone euro », explique l’économiste Fipaddict, dans une note très complète. Le spécialiste indique que l’abaissement d’un cran « est associé à un coût de financement supérieur de 0,1 point seulement »« L’effet sur le coût de la dette française devrait être finalement faible », complète Christopher Dembick, économiste chez Pictet Asset Management.

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En revanche, les conséquences pourraient être plus graves pour la crédibilité du gouvernement. « Le principal risque à court terme pourrait bien être politique » explique Fipaddict. En effet, « les études empiriques suggèrent que les dégradations sont associées à une baisse importante de la popularité du pouvoir en place, car il s’agit d’un événement très visible qui conduit les citoyens à actualiser leur opinion sur la situation économique et la compétence de l’exécutif », poursuit l’économiste. « Il y a sans doute un enjeu plus politique qu’économique », abonde auprès de La Tribune, Véronique Riches-Flores, économiste indépendante à la tête de Riches Flores Research.

« On comprend pourquoi la situation budgétaire inquiète les agences. Le président n’est pas très engagé sur cette question et le gouvernement a du mal à tenir ses engagements et les résultats économiques ne sont pas là », analyse-t-elle.

Une probable dégradation ou une perspective négative de la note tricolore pourrait donc avoir des répercussions dans l’opinion. « Contrairement à certaines idées reçues, la question de la note de la France n’est pas un sujet secondaire ou ‘hors sol’ pour les Français. Non seulement ils y sont très attentifs, mais en plus la crise sanitaire et le ‘quoiqu’il en coûte’ n’ont pas balayé leur vigilance sur ce sujet », souligne Erwan Lestrohan.

Surtout, le durcissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) depuis l’été 2022 a considérablement dégradé les conditions financières pour les entreprises, les ménages et les Etats. En 2022, la fin de l’assouplissement quantitatif (quantitatif easing, QE) mis en oeuvre après la crise des dettes de 2012 par l’ancien président de la BCE, Mario Draghi, a marqué un virage brutal dans la politique monétaire de la zone euro. Annoncée en juin prochain par le gouverneur de la Banque de France Villeroy de Galhau, la première baisse des taux pourrait redonner du souffle aux Etats encore asphyxiés par ce tour de vis monétaire. À Bercy, l’Agence France Trésor, en charge de la dette de l’Etat, espère une baisse au plus vite pour financer ses besoins colossaux sur les marchés.

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Notation : le précédent de 2023

Or, jusqu’à récemment, les agences de notation ont fait preuve de « magnanimité » à l’égard de l’Hexagone, souligne l’économiste de l’IESEG (une école de commerce) Eric Dor, dans une récente note. Comment expliquer une telle mansuétude ?

« Les agences soulignent en général que la France a une économie diversifiée et que c’est un pays assez riche », explique, à La Tribune, le directeur des études de l’école. « La France peut facilement mettre en place des taxes en cas de soucis » et les agences reconnaissent « la solidité de son système bancaire », poursuit-il.

Mais l’accumulation de mauvaises nouvelles ces dernières semaines pourraient changer la donne. D’autant qu’il faut rappeler que l’agence Fitch a déjà dégradé l’Hexagone l’année dernière en pleine réforme des retraites. Mais, ce vendredi, c’est surtout l’agence Moody’s qui pourrait baisser la note de l’Hexagone.

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Le spectre d’une dégradation s’amplifie

Au printemps 2023, le gouvernement avait tenté de balayer d’un revers de main cette sanction des marchés. Mais le spectre d’une dégradation s’amplifie. « Les finances publiques réalisées en 2023 et projetées pour l’avenir se sont dégradées par rapport aux précédentes décisions des agences de notation », indique Eric Dor. Pointant un problème de « cohérence et crédibilité du programme de stabilité », l’économiste explique qu’il est difficile d’être à la fois « optimiste sur la croissance et ne pas prendre en compte l’effet récessif des économies ».

Sans compter que, concernant la trajectoire des finances publiques jusqu’en 2027 présentée en Conseil des ministres la semaine dernière, le Haut conseil des finances publiques (HCFP) et le FMI ont émis de sérieux doutes sur le scénario du gouvernement. C’est également le cas de Moody’s qui considère comme peu probable l’hypothèse d’un redressement du déficit public sous les 3% du PIB en 2027, annoncé par le gouvernement pour se conformer aux obligations de Bruxelles.

Pour parvenir sous les 3% d’ici 2027/à cet objectif, « la baisse de crédits de plusieurs dizaines de milliards d’euros en quatre ans est inédite à faire passer au Parlement, surtout sans majorité », explique Eric Dor. « Les agences de notation pourraient tiquer sur cette absence de majorité pour faire passer ces économies », indique-t-il.

Les spécialistes ne sont cependant pas tous unanimes sur le scénario d’un abaissement de la note tricolore. « On manque de ligne directrice et de vision sur ce à quoi servent ces déficits. Je pense que paradoxalement la dette ne va pas être forcément dégradée. Le downgrade n’est pas notre scénario central », souligne Véronique Riches-Flores. Et d’ajouter que « les perspectives de croissance sont meilleures qu’il y a six mois, le taux d’endettement a continué à baisser en raison de l’inflation ». Face aux investissements colossaux de la transition écologique et de la Défense, le besoin d’endettement des Etats est mieux « accepté ». « Il y a un an, l’idée était de donner l’impulsion au secteur privé pour réaliser la transition écologique. Aujourd’hui, tout le monde accepte que la puissance publique intervienne face à l’urgence climatique », conclut-elle.

Grégoire Normand

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