lundi, mai 6

En Argentine, la thérapie de choc de Milei porte-t-elle réellement ses fruits ?

C’est une énième manifestation qui s’est déroulée mardi en Argentine depuis l’élection du président ultra-libéral Javier Milei en décembre dernier. Cette fois, le monde étudiant est descendu battre le pavé à Buenos Aires pour défendre l’université publique face à la politique d’austérité du gouvernement. Avec plusieurs centaines de milliers d’Argentins dans les rues, cette mobilisation est l’une des plus importantes depuis le début de la présidence, alors que la population souffre de plus en plus de pauvreté. Une politique qualifiée mercredi d’« inhumaine, brutale et inutile » par l’ancien président argentin, Alberto Fernandez.

Pourtant, au regard de la situation économique délétère de la troisième plus grande économie d’Amérique Latine, Javier Milei avait prévenu du choc, arguant « qu’il n’y a pas de plan B » à l’austérité pour redresser les finances.

En effet, le pays a subi en 2023 sa pire crise économique depuis 2001, entre récession et inflation démesurée. D’après les chiffres du Fonds monétaire international (FMI), la croissance de l’Argentine s’est contractée de 1,6% en 2023, minée par une sécheresse sévère alors que l’économie du pays repose principalement sur son secteur agricole. De son côté, l’inflation a avoisiné les 211% en glissement annuel, d’après l’institut de statistique officiel argentin.

Lire aussiArgentine : l’économie de la « débrouille » pour vivre avec 140% d’inflation

Réduction drastique des dépenses…

Dans ce contexte, Milei n’y est pas allé par quatre chemins. Dès son arrivée, il a réduit de moitié les ministères, licencié 50.000 fonctionnaires, stoppé ou annulé définitivement les chantiers publics, supprimé les subventions liées aux transports publics et à l’énergie. « Déficit zéro non négociable » a soutenu le président qui se définit lui-même comme « anarcho-capitaliste », alors que le déficit avait atteint 5,2% du PIB l’année dernière.

 « Les déficits à répétition sont un des gros problèmes du pays, qui fait tourner la planche à billet pour combler les trous, et crée donc de l’inflation », explique l’économiste Sylvain Bersinger, du cabinet Asterès.

Le gouvernement mise également sur l’augmentation des recettes :

« Le gouvernement avait prévu une hausse d’impôts qui n’a finalement pas eu lieu. Il compte désormais sur la hausse des taxes sur les importations et les exportations, d’autant que cette année, les récoltes se présentent sous un meilleur jour », indique Adriana Meyer.

Et pour le moment, la cure d’austérité a l’air de faire effet. Le pays a même enregistré au premier trimestre 2024 un excédent financier de près de 275 milliards de pesos, soit 309 millions de dollars. Une première depuis 2008. « Un fait historique en Argentine », commente l’économiste. « Des surplus qui s’expliquent bien par la réduction des dépenses », ajoute-t-elle.

Lire aussiDollarisation de l’Argentine : « Le pays se lie les mains dans le dos » (Sylvain Bersinger, Asterès)

… et dévaluation du peso

La cure ne s’arrête pas là. Outre les dépenses publiques, le président a aussi dévalué de 54% le peso argentin face au dollar dès son arrivée en décembre, puis de 2% chaque mois. « Cela a permis de réévaluer le peso à sa juste valeur et de rassurer les investisseurs, même si pour le moment, on ne sait pas quand le gouvernement compte arrêter cette politique de dépréciation de la monnaie », note Adriana Meyer. Car une telle dévaluation a, dans un premier temps, accéléré fortement l’inflation.

Mais, les chiffres de mars sont plutôt encourageants et montrent déjà une décélération de la hausse des prix, qui ont même atteint 11% en mars, après avoir augmenté de 25% en décembre.

« C’est un début d’année prometteur pour l’Argentine, les marchés financiers sont plutôt contents, les comptes publics sont mieux tenus et l’inflation a même ralenti », renchérit l’économiste.

Le prix de l’austérité

De l’amélioration certes sur le court terme, mais sur le long-terme rien n’est moins sûr. Car si l’inflation a décéléré le mois dernier, en glissement annuel elle atteint plus de 287% en mars par rapport au même mois de l’année dernière. L’OCDE table ainsi sur une inflation de… 250% pour 2024 dans le pays d’Amérique du Sud. De quoi pénaliser encore fortement le pouvoir d’achat des ménages alors que près de la moitié des Argentins vivent dans la pauvreté « L’inflation a ralenti mais c’est aussi lié au fait que la consommation est en chute libre, les gens ne peuvent plus rien acheter », pointe également Adriana Meyer.

Et l’austérité budgétaire n’arrange rien. « L’Argentine avait besoin d’une politique d’austérité, mais c’est encore plus brutal que ce que recommandait le FMI », pointe, quant à lui, Sylvain Bersinger. Avec des coupes dans des dépenses stratégiques comme en R&D ou dans les universités, « c’est le serpent qui se mord la queue », précise-t-il, car « une économie qui n’innove plus, ne génère plus de recettes ». Le FMI projette ainsi que le pays va de nouveau connaître une récession cette année de -2,8%.

Pour tenter d’aider les Argentins, le gouvernement a tout de même promis en début d’année une hausse du salaire d’au moins 30%. Une augmentation jugée « insuffisante » face à l’inflation, estime Adriana Meyer. D’autant que les baisses de dépenses concernent aussi les prestations sociales : le gouvernement a par exemple versé cette année les retraites sans prendre en compte l’inflation, précise l’économiste. Dans ce contexte, outre les universités, les travailleurs du secteur des transports publics ou encore les organismes d’aide sociale descendent également dans la rue.

Risque politique

« Le risque est de créer une crise sociale et politique », commente Sylvain Bersinger, « le pays navigue entre l’ultra-libéralisme et la gauche péroniste, deux visions radicalement opposées », précise-t-il. Résultat, il n’y a pas de continuité dans les politiques économiques menées, créant de l’instabilité et repoussant les investisseurs.

Par ailleurs, en dépit des bons résultats économiques à court terme, le président se retrouve aussi en minorité au Parlement, l’obligeant à fonctionner par décrets et à revoir sa politique de dérégulation. Par conséquent, la fameuse loi « omnibus » avec plus de 300 dispositions a pour le moment été suspendue. Même sort pour son « Méga-décret », partiellement entré en vigueur au début de sa présidence. Malgré tout, la cote de popularité de Javier Milei ne faiblit toujours pas…

Les blagues autour des chiens de Milei n’amuse pas la présidence

La relation fusionnelle du président argentin Javier Milei avec ses chiens, ses « enfants à quatre pattes » comme il les appelle, est devenue l’objet de plaisanteries, sarcasmes d’opposants, voire de questions journalistiques, qui ont le don d’irriter la présidence.

Par deux fois cette semaine le porte-parole présidentiel Manuel Adorni s’est emporté quand des journalistes lui ont demandé, lors du point presse quotidien, si Javier Milei a quatre, cinq chiens, ou s’ « il en a quatre et en voit cinq », ce qui ferait de lui quelqu’un « qui voit quelque chose qui ne correspond pas à la réalité ».

La question n’est pas innocente. Elle fait référence à l’un des chiens, « Conan », qui serait décédé en 2017, bien avant que l’économiste ultralibéral n’entre en politique. Un Conan avec lequel Milei « communique », comme l’affirmait une biographie non autorisée publiée en 2023. Une « communication » jamais confirmée par Milei, même si une médium spécialiste de « télépathie animale » avoua avoir apporté à Milei une « aide au travail de deuil ».

« Ce que tu suggères me parait un manque de respect, décrire le président comme une personne qui parle avec des choses qui n’existent pas. C’est une question totalement irrespectueuse, et c’est s’immiscer dans sa famille », a grondé le porte-parole jeudi en réponse au journaliste.

La question faisait suite à un échange mordant entre Milei et son prédécesseur Alberto Fernandez, qui dans un tweet mercredi a dénoncé la politique d’austérité « inhumaine, brutale et inutile » de Milei. En ajoutant : « Moi, mon chien, qui est vivant, ne me conseille pas, et les “Forces du ciel” (une expression fétiche de Milei, NDLR) ne m’envoient pas des signes ».

Milei, souvent décrit comme personnalité excentrique, à la vie sociale secrète, hyperactif sur les réseaux sociaux, a parlé à plusieurs reprises avec émotion de ses chiens, énormes mastiffs anglais de 100 kg chacun, avec lesquels il vivait seul jusqu’à la campagne présidentielle 2023. La version officielle connue est qu’ils ont été clonés à partir du « Conan » défunt.

Milan, Murray, Robert, Lucas

Ces chiens, nommés d’après des économistes libéraux Milton (pour Friedman), Murray (pour Rothbard), Robert, Lucas (Robert Lucas), vivent dans des chenils aménagés dans la résidence présidentielle d’Olivos, selon Javier Milei. Il a révélé début avril à CNN que sa routine matinale est de passer un moment avec ces « cinq » chiens avant d’aller travailler. Mais comme ils n’ont pas été vus depuis des années -la dernière photo remonte à il y a 4-5 ans- le doute taraude la presse argentine : sont-ils bien cinq, quatre ? Conan est-il vivant, ou virtuel ?

« Si le président dit qu’ils sont cinq, ils sont cinq et point final », s’est agacé le porte-parole lundi, en réponse déjà à une question sur les chiens. « Je ne comprends pas bien quelle différence cela fait que le président ait quatre, cinq chiens, ou 43 lapins ».

« On dirait que c’est pour rire. Mais ici, il y a un sujet qui est la santé mentale du président », a commenté à l’AFP Juan Luis Gonzalez, l’auteur de la biographie de 2023, intitulée « El Loco » (le fou). « On peut comprendre beaucoup de choses que fait le gouvernement à travers l’instabilité de Milei ».

Interrogé fin 2023 lors d’un talk-show sur sa relation avec ses chiens, les rumeurs de communication avec un au-delà canin, Milei avait haussé les épaules en souriant : « Qu’ils racontent ce qu’ils veulent. A chacun son avis ». En attendant, réseaux sociaux, opposants, s’en donnent à coeur joie sur les chiens, et sur Conan.

Tout comme les étudiants, qui mardi manifestaient en masse pour la défense de l’université : « Sans science, pas de Conan ! », « L’université publique existe, Conan non ! », disaient quelques  pancartes dans les cortèges, où une chanson hilare réclamait « une minute de silence pour Conan ». Quand d’autres « promenaient Conan »… au bout d’une laisse vide.

(AFP)

Lien source : En Argentine, la thérapie de choc de Milei porte-t-elle réellement ses fruits ?