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Énergies renouvelables : « Demain, on aura une abondance d’électrons et la difficulté sera d’en optimiser l’usage » (A. Joffre, DERBI)

Dans la continuité de son assemblée générale du 24 avril, le pôle de compétitivité DERBI, spécialisé dans les énergies renouvelables en Occitanie, faisait un tour d’horizon des actualités du secteur avec trois invités : Jules Nyssen, président du SER (syndicat des énergies renouvelables), Daniel Bour, président d’Enerplan (syndicat de l’énergie solaire renouvelable), et Cédric Boissier, directeur du Projet Accélération des ENR chez Enedis.

Premier point saillant de l’actualité : la loi APER (accélération des énergies renouvelables). Si la dynamique enclenchée par la loi satisfait globalement tous les acteurs du secteur, certains s’interrogent sur l’absence de loi de programmation sur l’énergie et sur la réelle volonté politique à accélérer. Jules Nyssen pointe ainsi une gestion éparpillée du sujet entre les ministères de l’Economie, de l’Agriculture et de la Transition écologique, tout en soulignant un objet politique qui a le mérite d’exister.

« Je suis résolument optimiste, déclare toutefois André Joffre, le président du pôle DERBI après avoir refait l’histoire de l’avènement des ENR en France. Certes, il n’y a pas assez d’affichage politique, mais c’est quand même pas mal. Le fait que ce soit le ministère de l’Economie qui parle, ça donne de la consistance… Demain, on aura une abondance d’électrons et la difficulté sera d’en optimiser l’usage. »

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« Le réseau RTE en voie de saturation »

« La loi APER est devenue “un machin qui complexifie” mais elle a permis de mettre un coup de projecteur sur les ENR, observe Daniel Bour, chez Enerplan. Le réseau électrique en France est bien meilleur que dans la plupart des pays européens, et en termes de raccordement avec Enedis, on est sur un temps raisonnable. Mais la vraie question aujourd’hui, c’est le réseau RTE qui est en voie de saturation, avec des délais qui décalent fortement voire bloquent des projets. C’est un sujet d’angoisse. »

Pour Cédric Boissier, la première vertu de la loi APER, c’est de fixer les orientations stratégiques en matière d’énergies renouvelables, « ce qui est fondamental pour les constructeurs d’infrastructures si on veut tenir sur la durée le rythme des 5 à 6 GW par an raccordés ». Mais il concède le risque de saturation des ouvrages RTE ou Enedis, dans certaines zones plus que d’autres : « Peut-être qu’il eut fallu anticiper davantage pour que les infrastructures soient à la hauteur des programmes ENR… Aujourd’hui, certaines zones commencent à être saturées et chez Enedis, nous devons dire aux producteurs où il y a des capacités, ce qui permettra de raccorder vite, et où c’est saturé ».

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Agrivoltaïsme, « pacte solaire »

Le décret sur l’agrivoltaïsme vient d’être publié. Il fixe les conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers (les terrains considérés comme « incultes » devront être identifiés par les chambres départementales d’agriculture). Jules Nyssen applaudit mais avec des réserves : « Le monde économique était demandeur d’une règle du jeu, mais maintenant, il faut piloter le sujet collectivement, avec un comité de suivi et l’Etat au milieu, car le risque majeur, c’est une forme de moratoire… Il subsiste des imprécisions dans la loi dont certains seront tentés de se servir pour bloquer le développement du solaire au sol ».

Le 5 avril dernier, depuis Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), le ministre de l’Economie Bruno Le Maire avait détaillé son plan de bataille pour l’énergie solaire, et invité les énergéticiens français à s’engager dans le « pacte solaire » (« produire en France 40 % des panneaux photovoltaïques que nous utilisons d’ici 2030 ») afin d’assurer des débouchés aux deux projets de gigafactories de panneaux solaires prévus en France (HoloSolis à Hambach et Carbon à Fos-sur-Mer).

« Il n’y a plus d’acteurs industriels en France et on en connaît les causes : une surproduction chinoise, les Etats-Unis qui ont fermé leurs marchés, et l’Union européenne qui reste la seule à respecter les règles de l’OMC, analyse Jules Nyssen. Ça peut créer une dépendance, et ça tue toutes les discussions publiques et l’acceptabilité ! Les projets HoloSolis et Carbon sont de beaux enjeux pour la France mais pour que ça marche, il faut que la France et les autres pays européens acceptent de réserver une partie de leurs marchés à ces productions “made in Europe” sans pour autant fermer complètement la porte aux Chinois et tuer la dynamique solaire. »

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« Notre enjeu : recruter 1.000 nouveaux collaborateurs d’ici 2027 » (Gilles Pinel, Enedis Languedoc-Roussillon)

Comment s’inscrivent les engagements du gestionnaire du réseau de distribution d’électricité dans cette configuration d’accélération ? Gilles Pinel, directeur régional Languedoc-Roussillon chez Enedis, répond.

La loi APER : « L’Occitanie, et le Languedoc-Roussillon en particulier, est une terre historique du développement des ENR, et un grand nombre d’acteurs en sont originaires. La région pèse pour environ 20% des installations en France et 20% de la dynamique des projets en cours… La loi APER impose aux communes de déterminer les zones d’accélération des ENR et nous les accompagnons pour leur fournir un éclairage sur les capacités du réseau. »

Les enjeux de raccordement : « Nous sommes aujourd’hui en-dessous d’un mois pour les particuliers, et un peu au-dessus d’un an pour les installations moyennes en raison d’une forte dynamique et d’un encours important, mais nous nous renforçons et nous mettons en œuvre des moyens spécifiques pour y répondre. Nous travaillons avec des prestataires industriels régionaux, mais nous avons aussi de gros enjeux de renouvellement des compétences en interne, d’où le programme des “écoles des réseaux pour la transition énergétique” pour stimuler l’appétence des jeunes pour les métiers des réseaux, développer notre sourcing et les capacités de formation. Nous avons signé un partenariat avec le lycée Joliot Curie à Sète sur le Bac pro Métiers de l’Électricité et de ses Environnements Connectés, et nous allons continuer avec une “classe colorée” par département. Car notre enjeu, c’est de recruter 1.000 nouveaux collaborateurs d’ici 2027, dont 300 dès 2024, en CDI et alternance. »

Autoconsommation collective : « La région Languedoc-Roussillon était précurseur en la matière et nous avons, à Montpellier, une équipe experte dédiée à la gestion de l’ensemble des opérations d’autoconsommation collective du territoire national. Quand une opération fonctionne, il faut compter l’énergie produite et l’énergie consommée, superposer les courbes de charge, et réaffecter les coûts et bénéfices aux différents acteurs. »

Agrivoltaïsme : « Nous sommes en veille très active mais les postures ne sont pas complètement alignées d’un département à l’autre dans les chambres d’agriculture, certaines étant favorables, d’autres farouchement opposées… Dans les départements où l’agriculture est en difficulté, il pourrait y avoir un appel d’air important, mais ça veut dire concilier l’agriculture avec la production d’énergies renouvelables, et certains sont inquiets du risque d’abandon de la partie culture. Donc à ce stade, pas de vague massive qui s’annonce, c’est trop tôt. »

Les ENR en Occitanie

  • 148.000 installations de production (17,5% de la répartition en France) dont 99% en photovoltaïque
  • 5.632 MW de production raccordée, dont 3.555 MW en photovoltaïque (63%), 1.284 MW en éolien (23%), et 405 MW en autoconsommation individuelle (7%)
  • 16.128 projets photovoltaïques en cours en Occitanie  (20% des projets du territoire français), soit 1.755 MW
  • Autoconsommation individuelle : 84.319 installations et 405 MW à fin 2023 Occitanie, la Haute-Garonne est le 1e département d’Occitanie (18.044 installations pour 78 MW), l’Hérault est le 2e département d’Occitanie (14.965 installations) et le 5e département de France en puissance installée (69 MW)
  • Autoconsommation collective : 51 opérations actives en Occitanie (379 en France), soit la 1ère région de France (avec le Grand Est), 60% se situent sur l’ex-Languedoc-Roussillon.

Cécile Chaigneau

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