lundi, avril 29

Jusqu’à 80 milliards d’euros d’économies : l’effort à faire pour atteindre 3% de déficit en 2027 avec une croissance faible (OFCE)

Emmanuel Macron va-t-il pouvoir tenir sa promesse de rétablir l’équilibre des finances publiques d’ici à 2027 ? Rien n’est moins sûr. L’Insee a dévoilé ses chiffres très attendus de la comptabilité nationale ce mardi 25 mars. Et ils ne sont pas bons. Le déficit public a atteint 5,5% du produit intérieur brut (PIB) en 2023 contre 4,8% en 2022 et 6,6% en 2021. Le gouvernement tablait sur un solde des comptes publics à 4,9% l’année dernière. Cela signifie que le déficit a gonflé de 18 milliards d’euros de plus que ce qui était prévu en loi de finances. « Prévoir 4,9% de déficit et réaliser 5,5%, ce ne peux pas être seulement de l’incompétence ! J’ai connu des accusations d’insincérité pour dix fois moins que ça ! », a réagi l’ancien secrétaire d’Etat au Budget de François Hollande, Christian Eckert.

En 2023, le coup de frein de la croissance a plongé le déficit dans le rouge. Les ministres de Bercy Bruno Le Maire et Thomas Cazenave ont réaffirmé le principe d’une rigueur budgétaire accrue lors d’une réunion avec des journalistes. «  En avril, je présenterai le programme de stabilité qui réaffirmera l’objectif de réduire le déficit public à 3% en 2027 », a avancé Bruno Le Maire. Quant à la dette publique, elle diminue légèrement. Après avoir atteint un pic en 2020 au moment de la crise sanitaire (114,9% du PIB), la dette rapportée au produit intérieur brut s’est établie à 110,6% en 2023. S’agissant des charges d’intérêt payées sur la dette, elles se sont repliées (-4,9%) entre 2022 et 2023 passant de 52,7 milliards d’euros à 50 milliards d’euros.

Une prévision de croissance « bien trop optimiste » en 2023

En dépit d’un déficit plus élevé que prévu en 2023, le gouvernement tient toujours à sa promesse de revenir sous les 3% d’ici à la fin du quinquennat. Le ministre de l’Economie a notamment affirmé que la situation des finances publiques « ne change rien à la réalité économique de notre pays avec une croissance solide ».

Pourtant, la plupart des instituts de conjoncture avaient révisé bien avant le gouvernement leurs prévisions de croissance à la baisse pour 2023. « Le problème est que les prévisions de croissance étaient beaucoup trop optimistes pour 2023  », explique Christopher Dembick, économiste chez Pictet Asset Management. « Il y a un effet inflationniste à prendre en compte mais il y a clairement un dérapage », ajoute-t-il.

Revenir à 3% de déficit en 2027 : une promesse « fantaisiste  »

 Partant d’un déficit public plus bas que prévu, le gouvernement va avoir de vastes difficultés à remonter la pente. Pour rappel, Bercy avait inscrit dans sa loi de programmation des finances publiques (LFPP) 2024-2027 présentée en décembre dernier une croissance entre 1,4% et 1,8% sur cette période. « Je ne vois pas par quel miracle la prévision de croissance en France serait supérieure à la croissance potentielle (environ 1,2%), tout en faisant de la consolidation budgétaire », s’interroge l’économiste.

Le pari de revenir à 3% d’ici à 2027 « est complètement fantaisiste à l’heure actuelle», juge Christopher Dembick. S’agissant de 2024, la croissance du PIB va osciller entre 0,1% et 0,3% au premier semestre selon la dernière note de conjoncture de l’Insee. Pour parvenir à l’objectif de croissance de 1% en 2024, « il faudrait que la croissance du PIB accélère de 0,7% durant les deux derniers trimestres de cette année », a calculé l’institut de statistiques.

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S’agissant de la fin du quinquennat, les prévisions annoncées par le gouvernement dans la loi de finances semblent intenables pour remplir les promesses sur les comptes publics. « Résorber un surcroît de déficit de 0,7 point avec plus de croissance sur quatre années (2024-2027) supposerait de rehausser la croissance de 0,3 à 0,4 point par an, par rapport à une trajectoire qui était déjà optimiste », a calculé Olivier Redoulès, directeur des études chez Rexecode. Bercy avait ainsi projeté dans le budget 2024 que le solde public s’établirait à -4,4% en 2024, -3,7% en 2025, -3,2% en 2026 et -2,7% en 2027.

Jusqu’à 80 milliards d’euros de coupes budgétaires jusqu’en 2027

Le gouvernement a entrepris de serrer l’étau budgétaire en prenant une première décision de couper 10 milliards d’euros dans les dépenses de l’Etat mi février. Et les ministres de Bercy ont annoncé que ce ne serait pas suffisant en annonçant 20 milliards d’euros d’économies supplémentaires étalées sur deux ans. L’exécutif compte sur les revues des dépenses publiques pour faire « refroidir la machine », a prévenu Bruno Le Maire. Dans le viseur de Bercy, figurent les collectivités locales et les dépenses de santé.

Pour parvenir au 3% de déficit d’ici 2027, l’institut Rexecode avait calculé l’année dernière que le gouvernement devrait réaliser environ 55 milliards d’euros d’économies jusqu’à la fin du quinquennat. « Or, depuis juin dernier, le point de départ en déficit pour 2023 est moins favorable, donc il faudrait sans doute plus que 55 milliards d’euros, toute chose égale par ailleurs. En effectuant 30 milliards d’euros comme il l’annonce, le gouvernement ferait donc à peu près la moitié du chemin », explique Olivier Redoulès. De son côté, la Cour des comptes évoquait 50 milliards d’euros d’économies d’ici la fin du quinquennat. Pour Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, passer de 5,5% à 3% de déficit avec une croissance faible (1,2% ou 1,3%) représenterait un effort total de 70 à 80 milliards d’euros.

Des économies « incohérentes » avec les objectifs climatiques de la France

Le gouvernement « ne tient pas compte des effets de levier de la dépense. Cela a un impact sur la croissance », poursuit l’économiste. Le risque « est de répéter l’erreur qui a été faite après 2010 ». Pour rappel, les mesures d’austérité budgétaire adoptées dans la zone euro avaient favorisé la crise des dettes souveraines de 2012. Le risque est « de tomber dans une spirale récessionniste » avec « moins de croissance et moins de recettes », complète Mathieu Plane.

Pour Christopher Dembick, les économies à réaliser «sont incohérentes avec les objectifs de baisse des émissions  de gaz à effet de serre de la France ». Pour rappel, la France s’est engagée à réduire ses émissions de 55% d’ici 2030 auprès de la Commission européenne. Pour y parvenir, le rapport Pisani Ferry/Mahfouz préconise près de 70 milliards d’euros d’investissements chaque année d’ici 2030 (dont la moitié d’investissements publics). Promu au printemps 2023 par le chef de l’Etat, ce rapport semble désormais enterré par Bercy.

Une avalanche de réformes

Pour redonner du souffle à la croissance économique, le ministre de l’Economie a grandement insisté sur « les réformes structurelles ». « Elles doivent nous permettre d’avoir une croissance solide en 2024 et une croissance forte en 2025 et en 2026 ». Pour le locataire de Bercy, « si nous avons le plein emploi et les cotisations qui vont avec, nous aurons les recettes de l’impôt sur le revenu ».

Déterminé à faire des économies, le ministre des Finances a réaffirmé sa volonté de réformer l’assurance-chômage en abaissant la durée d’indemnisation des chômeurs. Le Premier ministre Gabriel Attal a d’ailleurs convié plusieurs de ses ministres pour plancher sur la question du travail mercredi 27 mars. Attendu au journal télévisé de 20 heures, le chef du gouvernement pourrait annoncer un nouveau tour de vis après deux précédentes réformes depuis 2018.

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Des gages pour les agences de notation

A quelques semaines du verdict des agences de notation, le gouvernement veut donner des gages sur sa volonté de réformer. Le 26 avril,  Fitch et Moody’s donneront une nouvelle appréciation de la capacité de la France à rembourser sa dette. La décision de l’agence S&P, la plus redoutée, est annoncée pour le 31 mai. Une dégradation de la note de la France serait un camouflet pour le gouvernement déterminé à afficher ses ambitions réformatrices. En pleine réforme des retraites, l’agence Fitch avait dégradé au printemps 2023 la note de l’Hexagone après plusieurs mois de vives contestations sociales et des débats électriques à l’Assemblée nationale.

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Bercy favorable à un prolongement de la taxe sur les énergéticiens

Lors de la réunion avec les journalistes, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire s’est une nouvelle montré inflexible sur la fiscalité. Attaché au dogme des baisses d’impôt, il veut maintenir cette politique économique jusqu’à la fin du quinquennat. Sur une possible hausse de la fiscalité sur les plus grosses fortunes, il a estimé que « taper sur les riches est la facilité ». Il a également balayé d’un revers de la main la proposition de la président de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet d’une hausse de la fiscalité sur les superprofits.

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En conférence de presse à l’Assemblée nationale, le président de la Commission des finances Eric Coquerel a expliqué qu’il allait s’approcher des députés de la majorité favorables à une taxation exceptionnelle des superprofits pour faire une proposition de loi, « n’en déplaise à Bruno Le Maire ». En revanche, le ministre s’est montré favorable à un prolongement de la taxe sur les énergéticiens. Reconnaissant que « la taxe sur la rente inframarginale n’a rapporté que 300 millions d’euros, soit 10 fois moins que prévu par la CRE (la Commission de régulation de l’énergie) ». Il s’est dit ouvert « à des propositions». « Il est inacceptable que le rendement soit aussi faible que prévu ». Reste à savoir s’il validera les pistes mises sur la table.

Actuellement, la France n’a pas de difficultés à emprunter sur les marchés

Pour l’instant, les marchés sont loin d’être affolés par le dérapage des finances publiques de l’Hexagone. Le spread, c’est à dire l’écart de taux à 10 ans entre la France et l’Allemagne, jugé le pays le plus sûr, est légèrement remonté depuis la semaine dernière. Mais il demeure très loin de son niveau de l’automne dernier. Et des pics enregistrés en 2012 en pleine crise des dettes souveraines de la zone euro.

« Depuis fin 2023, le spread est orienté à la baisse, indiquant que la France n’a pas de difficulté à emprunter de l’argent sur les marchés financiers », a indiqué Sylvain Bersinger, chef économiste du cabinet Astères dans une récente note. Après l’envolée de l’inflation en 2022 et 2023, la BCE avait considérablement durci sa politique monétaire. Mais il semble qu’un assouplissement monétaire se profile à l’été.

Grégoire Normand

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