mercredi, mai 1

« Les prévisions sont très sombres pour l’aéroport de Pau d’ici 2026 » (Nicolas Patriarche)

LA TRIBUNE – Avec moins de 350.000 voyageurs en 2023, le trafic de l’aéroport de Pau est pour la première fois de son histoire significativement inférieur à celui de Tarbes-Lourdes qui atteint 600.000 passagers. Cette trajectoire est-elle préoccupante ?

Nicolas PATRIARCHE – Oui, c’est un sujet qui fait beaucoup réagir sur le territoire et qui est le fruit de plusieurs facteurs conjugués. La concurrence de l’aéroport de Tarbes qui bénéficie depuis 2022 d’une OSP (obligation de service public) vers Paris-Orly soutenue financièrement par l’Etat à hauteur de 1,5 million d’euros par an. Parallèlement, notre clientèle très typée affaires n’a jamais retrouvé les niveaux d’avant Covid avec l’essor du télétravail et des visioconférences tandis qu’Air France a drastiquement réduit son offre. Nous sommes passés de 32 vols hebdomadaires vers Orly à seulement un vol quotidien opéré par Transavia en fin de journée…

Air France a-t-elle abandonné l’aéroport de Pau ?

Air France ne s’est pas retirée mais a très fortement réduit la voilure. Ils nous disent qu’ils perdent de l’argent car la concurrence de Volotea sur le Tarbes-Orly est trop forte avec des prix plus bas et des horaires plus adaptés. Nous avons nous-même observé une évaporation de près d’un tiers de notre clientèle vers Tarbes qui n’est qu’à 35 minutes de voiture ! Mais quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage et nous avons vu une dégradation continue des conditions d’exploitation du Pau-Orly par Air France puis Transavia. Et je crains que dans quelques semaines, il n’y ait encore une baisse de l’offre, puis une fin programmée de ce seul vol quotidien.

Quel est l’impact de cette forte baisse du trafic sur les comptes de l’aéroport ?

Le délégataire Air’Py [filiale de la CCI Pau Béarn et d’Egis, NDLR] a réduit ses effectifs, notamment en externalisant la sécurité, pour passer de 130 salariés avant le Covid à 85 aujourd’hui. Mais dans un aéroport il y a des charges fixes et l’équilibre économique de la délégation de service public est complètement chamboulé. Avec 600.000 voyageurs, on atteignait à peu près le petit équilibre, mais avec 350.000 c’est impossible. Ce qui veut dire qu’à un moment donné les collectivités locales devront mettre plus d’argent pour transporter moins de passagers… Au total, en 2023 on était encore à l’équilibre grâce à de la trésorerie mais les prévisions pour 2024, 2025 et 2026 sont très sombres. L’impact le plus dur se fera sentir cette année : avec la baisse des fréquences vers Lyon, le trafic 2024 sera encore inférieur à celui de 2023.

Comment réagit le tissu économique béarnais ?

C’est un moment compliqué et rageant pour le territoire, qui compte de nombreux industriels sur le bassin de Lacq et des grandes entreprises telles que TotalEnergies, Safran HE et Euralis. Pour tous ces acteurs, ça devient très compliqué de se rendre à Paris et ça pose clairement un problème pour l’attractivité du territoire auprès des investisseurs, notamment étrangers, qui sont effarés de cette situation ! On a mené une enquête auprès de 300 entreprises de l’agglomération et 97 % se disent très inquiètes de l’impact des difficultés de l’aéroport sur leur propre développement. À Pau, il n’y aura pas la LGV et la situation de l’aéroport est un vrai réenclavement du territoire !

L’inquiétude forte des entreprises béarnaises

Actionnaire de l’aéroport et de son exploitant, la Chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn a sondé ses adhérents en décembre 2023 et alerte sur l’importance de la liaison avec Paris, mais aussi Lyon, pour les acteurs du deuxième pôle économique de Nouvelle-Aquitaine notamment les chimistes du Bassin de Lacq. « Le maintien d’une liaison Pau-Orly est extrêmement important pour la quasi-totalité des entreprises (97%). Près de deux tiers d’entre elles (64%) considèrent par ailleurs que le schéma actuel de dessertes vers Paris est insatisfaisant et impacte négativement leur activité », détaille Didier Laporte qui préside à la fois la CCI et Air’Py, le gestionnaire de l’aéroport.

Certes, les habitudes ont évolué : une partie des locaux se déplaçant pour le travail privilégient désormais le train ou la visioconférence, mais la CCI constate aussi un report sur le Tarbes-Orly. « La cannibalisation existe, il est difficile de la nier, même si elle est sans doute plus forte pour les déplacements touristiques », juge Didier Laporte, inquiet des conséquences à long terme : « Nous ne disposons pas d’exemples concrets de projets d’installation d’entreprises avortés du fait de la situation de l’aéroport, mais il est évident que le contexte actuel a un impact sur l’attractivité de certains secteurs. »

Vous évoquiez l’obligation de service public (OSP) dont bénéficie Tarbes. S’agit-il d’une distorsion de concurrence ?

Deux rapports des Chambres régionales des comptes et un de la Cour des comptes pointent la fragilité juridique de cette OSP et la concurrence faussée qui en découle entre les deux aéroports alors qu’on parle bien d’un seul bassin de vie. Quel que soit le mot qu’on emploie, la réalité c’est qu’il y a deux poids, deux mesures et que nous ne luttons pas à armes égales puisque leur ligne vers Orly est soutenue à hauteur de 4,5 millions d’euros par an, dont 1,5 million de l’État. Nous demandons juste à pouvoir opérer une liaison vers Paris dans des conditions normales avec un aller-retour à la journée.

Est-il envisagé de contester la légalité de cette OSP devant les tribunaux ?

Aujourd’hui, le dialogue avec les élus tarbais est très compliqué puisqu’ils ont une attitude très guerrière, très dure. Donc je ne crois pas beaucoup au dialogue direct entre les collectivités. Mais l’option de contester cette OSP devant les tribunaux n’a pas été retenue par les élus palois sachant que l’OSP sera réexaminée en 2026. Pour autant, j’observe qu’un recours vient d’être déposé par une association béarnaise pour interroger l’État sur la légalité de cette OSP et nous regarderons avec intérêt les suites qui y seront données…

De notre côté, nos courriers au gouvernement restent sans réponse et il faut aussi avoir à l’esprit que c’est un dossier suivi de près à l’Élysée puisque chacun connaît l’attachement d’Emmanuel Macron pour les Hautes-Pyrénées… Mais en 2026, il y aura des actions fortes de notre territoire pour demander le non-renouvellement de cette OSP qui est plus que contestable ! Ce sera un moment capital et déterminant pour l’avenir du territoire.

Au-delà de la concurrence de Tarbes et du désengagement d’Air France, êtes-vous satisfait de la stratégie de développement d’Air’Py, votre délégataire depuis 2017 ?

Quand on prend les objectifs affichés à l’époque par le délégataire, on est loin de ce qui a été réalisé sur le plan du développement ! Il n’y a bien sûr pas de solution miracle mais il n’y a pas eu non plus de réel dynamisme commercial même si se pose toujours la question de qui finance quoi. Le financement des lignes low-cost c’est une vraie jungle, comme on l’a vu récemment à Bordeaux ou La Rochelle, qui entraîne une guerre stérile entre les territoires à coup de pseudo contrats marketing et d’aides détournées. On nous a proposé de financer des lignes low-cost vers l’Angleterre où il fallait mettre plus de trois millions d’euros d’argent public chaque année ! On ne souhaite pas aller sur ce terrain-là.

Mais concernant Air’Py c’est certain qu’à part quelques petites lignes saisonnières, on n’a rien à l’horizon sur le plan du développement commercial. Il faudra en tirer toutes les conséquences lors du renouvellement de la délégation de service public en 2028. Dans l’immédiat, nous allons demander une OSP sur la ligne Pau-Lyon qui est aujourd’hui en chute libre avec le retrait de Hop au profit de la petite compagnie Twin Jet.

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Quelles peuvent être les solutions pour sortir de cette concurrence frontale ? Faut-il aller sur une société commune associant les deux plateformes qui ne sont qu’à 35 minutes de voiture l’une de l’autre ?

Est-ce qu’il faut rapprocher les deux aéroports ? Pourquoi pas, je n’y suis pas opposé. Il y a eu des études mais les synergies ne seront pas si simples et posent de multiples questions juridiques et de gouvernance. Il faut d’abord se mettre autour de la table et écarter les solutions baroques avec des doubles touchers où des avions desserviraient successivement les deux aéroports. En revanche, nous regardons effectivement ce que pourrait être une liaison partagée avec des vols d’Orly certains jours sur Pau et d’autres sur Tarbes et des navettes en bus. Cela peut être pertinent mais il faut en parler et je constate qu’aujourd’hui il n’y a aucune discussion réelle. J’appelle solennellement l’État à mettre tout le monde autour de la table pour discuter !

Sans accord, craignez-vous un déclassement de l’aéroport en aérodrome, voire une fermeture de la plateforme ?

Je ne crois pas à la fermeture totale de l’aéroport puisqu’il y a encore la liaison avec Roissy-CDG qui fonctionne bien et il y a aussi une forte présence de l’Armée de l’Air, de l’École des troupes aéroportées et de la DGAC. En revanche, si rien n’est fait, je crois au scénario d’un crash de la société Air’Py qui entraînerait une rupture anticipée de la DSP. On serait alors bien en peine pour trouver un nouveau délégataire et la reprise de l’aéroport en régie n’aurait rien d’évident… Et cela aurait des conséquences pour l’attractivité du territoire et pour le tissu économique local qui est déjà pénalisé par la situation.

Un site militaire d’importance

À l’aéroport de Pau, 80 % des mouvements aériens sont d’origine militaire. De l’autre côté de la piste, se trouve en effet la 1ere base militaire d’hélicoptères d’Europe avec le 5e régiment d’hélicoptères de combat et le 4e régiment d’hélicoptères des forces spéciales, soit une centaine d’appareils et 2.500 soldats. S’y ajoute aussi l’Etap (Ecole des troupes aéroportées), la 1ere école militaire française de sauts en parachute qui forme chaque année 4.000 stagiaires et réalise plus de 45.000 sauts.

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