dimanche, mai 19

Polémique sur les fins de carrière des cheminots : « La SNCF gagne 1,3 milliard d’euros, elle peut bien financer 35 millions d’euros » (Farandou)

Coïncidence ? Certains en doutent. Prévue depuis plusieurs jours, l’audition devant le Sénat de Jean-Pierre Farandou a pris une dimension inattendue avec la décision du gouvernement annoncée ce matin. Dans un communiqué laconique, celui-ci a fait savoir que le PDG de la SNCF resterait en poste pendant l’été « afin de garantir la bonne organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques », mais qu’il ne serait pas reconduit dans un second mandat. Candidat malheureux à sa propre succession, Jean-Pierre Farandou s’est montré dès lors plutôt vindicatif devant les sénateurs, dont plusieurs ont exprimé leur soutien. Il a défendu son bilan, tout comme l’accord sur les fins de carrière signé il y a quelques jours, largement décrié par la droite et une partie du gouvernement, en particulier par Bruno Le Maire. Il y a quelques jours, le ministre de l’Economie et des Finances avait qualifié cet accord de « pas satisfaisant » et « provocant ».

N’ayant désormais plus de poste à sauver, Jean-Pierre Farandou a donc profité de son passage devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement du Sénat pour faire entendre sa voix sur ce dossier. « J’ai entendu les interrogations, qui sont légitimes. J’ai entendu les critiques, que j’ai pu trouver parfois sévères ou injustes », a démarré le patron de la SNCF avant d’affirmer qu’il était « convaincu que c’est un bon accord pour l’entreprise d’un point de vue économique comme social ».

« Ma conviction est que c’est un bon accord qui ne contourne pas la loi sur les retraites, qui est dans les pratiques des grandes entreprises publiques et privées, dont le coût est raisonnable avec de vrais bénéfices pour l’entreprise, qui ne coûtera rien ni aux contribuables, ni clients, ni aux caisses de retraite. Il existait depuis 2008 et sa renégociation a été initiée à la demande des pouvoirs publics et conduite en responsabilité et en transparence », a renchérit Jean-Pierre Farandou.

Il a ainsi pris le temps de contre-attaquer sur chacun des points qu’il lui avait été reproché dans la signature de cet accord.

Lire aussiSNCF : le PDG Jean-Pierre Farandou ne sera pas reconduit pour un deuxième mandat

Le gouvernement était-il au courant ?

La question de la transparence a ainsi été centrale. Prenant la parole en tant que rapporteur, le sénateur Philippe Tabarot (Les Républicains) a déploré le départ à venir de Jean-Pierre Farandou en laissant entendre que celui-ci serait davantage lié à la signature de cet accord qu’à la limite d’âge qui aurait touché le PDG de la SNCF au cours d’un hypothétique second mandat. Bien qu’opposé à ce texte, l’élu a dit « regretter la volonté (du gouvernement) de faire du PDG de la SNCF le fusible d’une histoire pourtant écrite à quatre mains sur l’accord des fins de carrière ». Interrogé par l’AFP, Bruno Le Maire a affirmé pour sa part que la décision de ne pas reconduire le dirigeant découle de la question de la limite d’âge.

Sans souscrire aux propos du sénateur, Jean-Pierre Farandou a battu en brèche l’idée que le gouvernement ait pu ne pas être au courant des discussions entamées de façon active à partir de l’automne 2023. Le dirigeant a rappelé que ses différentes tutelles – celle technique du ministère des transports, celle sociale et politique de Matignon, et celle économique de Bercy – sont présentes au conseil d’administration du groupe SNCF et sont informées de toutes les grandes négociations. Ce qui prouve le caractère « non caché » de cet accord selon lui, rejetant ainsi toutes accusations d’opacité ou de manque de transparence. Il a aussi rappelé avoir clairement évoqué ces négociations dans une interview accordée au Monde en février dernier.

Lire aussiSNCF : les cheminots obtiennent des retraites anticipées, et lèvent leur menace de grève

Un accord en ligne avec la réforme

Dans la même optique, il a martelé le fait que la négociation de cet accord s’est faite à la demande des pouvoirs publics, qui ont pressé les entreprises de travailler sur la question pénibilité dans le contexte des carrières allongées par la réforme des retraites de 2023. Pour lui, les deux volets de cet accord sont donc en ligne avec cette réforme.

Le PDG du groupe SNCF a d’abord évoqué deux dispositifs « pour accompagner les salariés qui vont travailler plus longtemps par application de la loi ». Le premier pour renforcer la progression de carrière et les rémunérations après 60 ans, le second pour accroître les possibilités de reconversion pour les métiers pénibles.

« Ces deux dispositifs sont complètement dans l’esprit de la loi de l’allongement des carrières et d’un départ plus tardif à la retraite. Leur coût est de 20 millions d’euros par an. Cela peut être important, mais c’est à relativiser par rapport à la masse salariale de près de 10 milliards d’euros des 150.000 cheminots. Cela reste raisonnable », estime le patron du groupe ferroviaire.

Jean-Pierre Farandou s’est ensuite attaché à défendre le second volet de l’accord, le plus contesté. Il a rappelé qu’il s’agissait de la mise à jour d’un accord datant de 2008, pour l’aménagement du temps de travail et la cessation progressive d’activité. Selon lui, le texte tient désormais compte des réformes introduites depuis et « a abouti à une simplification et à une amélioration du dispositif de six mois en tenant compte de la pénibilité des métiers à la SNCF ». Il a rappelé dans la foulée que 91.000 cheminots tiennent un emploi pénible selon les critères nationaux.

Il a estimé le coût de ce deuxième volet à 15 millions d’euros par an, mais a assuré que l’entreprise en tirerait des bénéfices avec le renouvellement des générations, la fin de l’obligation de remplacement de 1 pour 1 qui était jusque-là en vigueur dans le précédent accord, une meilleure anticipation des besoins de recrutement et une réduction de l’absentéisme, « qui est multiplié par deux au-delà de 60 ans et par trois au-delà de 65 ans ».

Lire aussiLa SNCF pousse les curseurs de la mixité, mais se heurte aux réalités sociétales

Un coût à relativiser

Sur la question du coût, Jean-Pierre Farandou s’est engagé « à compenser le coût sans le répercuter sur le prix des billets et à préserver les marges de l’entreprise ». Selon lui, cela n’affectera en rien la trajectoire financière de l’entreprise, avec une compensation par des mesures d’économies. Visiblement irrité par les attaques sur cette dimension financière – qu’il a aussi défendu dans son bilan – il s’est même laissé quelque peu emporter.

« Il (l’accord) ne coûtera rien aux contribuables, car j’ai de l’argent. Je gagne1,3 milliard d’euros net, je peux bien financer 35 millions d’euros. Et les plans prévisionnels que nous faisons me donnent confiance dans notre capacité à financer cet accord. […] Les prix des billets ? 35 millions d’euros divisés par 122 millions de billets, cela donne 29 centimes. Vous croyez que je vais augmenter le prix des billets de 29 centimes ? C’est ridicule. » a déclaré le patron de la SNCF devant les sénateurs.

Enfin, Jean-Pierre Farandou a assuré que cet accord « est positif pour (ses) clients » avec une meilleure qualité de service de la part d’agents « en forme, motivés, engagés » à l’approche de la soixantaine, plutôt que « usés, un peu grognons, ayant perdu foi en leur entreprise ».

Lire aussiJO-2024 : le PDG de la SNCF ne voit pas de risque particulier « de perturbation »

Un bilan qui se veut positif

Dans tout cela, Jean-Pierre Farandou n’a pas oublié de défendre son bilan global. « Que de chemin parcouru en quatre an et demi », s’est-il félicité sans ambages, mettant en avant « la trajectoire financière assainie » du groupe SNCF depuis sa prise de fonctions en 2019. Il a ainsi vanté une hausse de 20 % du chiffre d’affaires, un résultat net passé de -300 millions à 1,3 milliard d’euros et un flux de trésorerie libre passé de -2,3 milliards à 2,5 milliards d’euros. Et il a estimé que la dette du groupe s’était stabilisée à 24 milliards d’euros avec des ratios de solvabilité normalisés.

« Le groupe SNCF a tourné le dos au déficit et à la spirale infernale de la dette. La réforme de 2018 fonctionne. Le groupe gagne de l’argent et le réinvestit dans le ferroviaire français », s’est félicité Jean-Pierre Farandou, qui a rappelé que cela avait été fait en dépit d’un contexte compliqué (crise sanitaire, conflits sociaux notamment sur les retraites, guerre en Ukraine, inflation, arrivée de la concurrence).

Le patron SNCF s’est même montré satisfait du « dialogue social vivant depuis (son) arrivée dans l’entreprise », avec – selon lui – seulement deux mouvements sociaux nationaux propres à la SNCF : Noël 2022 et février 2024. Un décompte qui lui permet d’exclure les nombreux mouvements régionaux ou les mobilisations interprofessionnelles comme celles contre la réforme des retraites. Un résultat que Jean-Pierre Farandou juge « honorable ».

« Nous serons prêts pour les Jeux »

Interrogé ce mardi par la commission de l’aménagement du territoire et du développement du Sénat. Jean-Pierre Farandou a affirmé sa confiance dans la bonne tenue des transports pour les Jeux olympiques. En régions, le PDG du groupe SNCF rappelle qu’il ne pourra pas étendre l’offre déjà à son étendue maximale pendant l’été où les trains sont déjà pleins en temps normal. Il estime donc que la SNCF sait gérer cette situation, même s’il reconnaît qu’il y aura une attention particulière pour les voyageurs sur les sites olympiques, notamment pour les visiteurs étrangers.

« L’endroit où les choses sont les plus compliquées, c’est l’Ile-de-France avec énormément de sites. Le Stade de France sera rempli et vidé deux fois par jour. La gare de Vaires-sur-Marne va passer de 3.000 à 30.000 passagers par jour avec l’aviron… Là, il faut se renforcer alors que l’offre baisse d’habitude pendant l’été. Il y a des organisations jour par jour. Les renforts sont là, avec 10.000 vacataires. Et il faudra aussi accorder les congés reportés par la suite. Nous allons arriver avec un parc de matériels roulants parfaitement en état et pareil pour les voies ferrées. Il n’y aura aucun travaux sur l’infrastructure pendant les Jeux et les techniciens seront mobilisés dans des équipes de dépannage projetables en 20 minutes. Nous serons prêts », a détaillé Jean-Pierre Farandou.

Sur l’aspect social « toujours un peu compliqué chez nous », le patron de la SNCF indique qu’un groupe de travail est en place depuis le mois de novembre, qui discute avec les instances syndicales de l’organisation et l’emploi « et un petit peu sur les primes aussi ». Une table ronde de convergence est prévue le 22 mai. « J’y crois », conclut-il.

Léo Barnier

Lien source : Polémique sur les fins de carrière des cheminots : « La SNCF gagne 1,3 milliard d'euros, elle peut bien financer 35 millions d'euros » (Farandou)