dimanche, mai 19

Pour réarmer l’Ukraine, l’Union européenne prête à utiliser les avoirs russes gelés

Et si l’Occident faisait payer les armes de défense ukrainienne par la Russie ? L’idée qui faisait son chemin ces derniers mois est en passe d’être adoptée. Alors qu’ils planchaient depuis la fin février et la proposition de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen d’utiliser les bénéfices tirés des avoirs russes gelés depuis le début du conflit en Ukraine pour financer des équipements militaires pour l’Ukraine, les Vingt-Sept sont parvenus mercredi à « un accord de principe », a annoncé la présidence belge de l’Union européenne, à l’issue d’une réunion des ambassadeurs des Etats membres à Bruxelles. Aucune précision n’a été donnée, alors que cette utilisation soulevait d’épineuses questions juridiques et suscitait de vives réticences au sein de l’UE.

210 milliards d’euros

Cet accord, qui devra encore être confirmé au niveau des ministres de l’UE, intervient après de longs et âpres débats sur la façon d’utiliser les avoirs de l’Etat russe bloqués après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui représentent environ 210 milliards d’euros dans l’UE.

« Il ne pouvait y avoir symbole plus puissant, ni un meilleur usage pour cet argent que (d’y recourir) pour rendre plus sûr l’Ukraine et l’Europe toute entière », a aussitôt salué mercredi la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, dans un message sur X.

En mars, la Commission européenne avait proposé en un plan visant à saisir les revenus produits par ces colossaux avoirs, qui pourrait selon elle permettre de dégager entre 2,5 et trois milliards d’euros par an en faveur de Kiev. Le 22 mars, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, avait indiqué qu’il fallait que les sommes soient mobilisées dès le mois de juillet car l’été risquait d’être décisif sur le front militaire.

Selon le plan adopté, 90% des revenus saisis seront destinés à la Facilité européenne pour la paix (FEP), qui finance des achats d’armes. Les 10% restants seront versés au budget de l’UE pour renforcer les capacités de l’industrie de défense ukrainienne. Parmi les Vingt-Sept, certains Etats avaient cependant indiqué redouter les conséquences d’une telle saisie, craignant le précédent que cela pourrait créer sur les marchés financiers, et les répercussions judiciaires qu’elle engendrerait. La Russie avait d’ailleurs menacé en mars l’UE de lui intenter des poursuites judiciaires « sur des décennies » en cas d’utilisation des revenus de ses avoirs gelés au profit de l’Ukraine, ce qui s’apparenterait selon Moscou à un « vol ».

Euroclear

L’immense majorité de ces avoirs russes gelés se trouve en Belgique, où ils sont administrés par Euroclear, un organisme international de dépôts de fonds. Ce groupe a pu en tirer des revenus totalisant l’an dernier 4,4 milliards d’euros – une somme taxée par l’Etat belge au titre de l’impôt sur les sociétés. Le reste se partage surtout entre les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni, l’Autriche et la Suisse, d’après l’Institute of legislative ideas.

Selon une source diplomatique, l’accord des Vingt-Sept consistera à saisir ces revenus des avoirs russes après imposition, mais la Belgique s’est engagée à ré-allouer à l’Ukraine l’ensemble des recettes fiscales générées sur son territoire par ces revenus exceptionnels. Elle assure avoir déjà consacré ces recettes fiscales pour aider Kiev en 2022 et 2023 via la création d’un fonds national dédié à l’Ukraine. En 2024, l’impôt prélevé en Belgique sur les avoirs russes pourrait atteindre 1,7 milliard d’euros, dont environ 1 milliard est déjà alloué à l’assistance militaire à l’Ukraine.

Par ailleurs, selon l’accord, les frais qu’Euroclear facture pour la gestion de ces avoirs russes seraient de nouveau fortement réduits, à 0,3% – contre un taux initial de 3%.

Le 19 avril dernier, les chefs de la diplomatie des pays du G7 (Etats-Unis, Japon, Canada, France, Allemagne, Canada et Italie) avaient déclaré examiner « toutes les options possibles », pour utiliser les avoirs gelés russes pour aider Kiev, avant le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du G7 prévu mi-juin dans les Pouilles (sud de l’Italie).

L’accord au sein de l’UE « ne doit être qu’un premier pas vers notre objectif d’utiliser les actifs gelés russes: ces 3 milliards annuels sont une goutte d’eau face à 200 milliards pour aider l’Ukraine à l’emporter », a réagi sur X le ministre estonien des Affaires étrangères Margus Tsahkna.

L’option d’une confiscation des avoirs russes reste jusqu’ici écartée par une majorité d’Européens, inquiets du risque d’ébranler les marchés internationaux et d’affaiblir l’euro. Aux Etats-Unis en revanche, le plan d’aide à l’Ukraine validé fin avril par le Congrès autorise le président américain à confisquer et à vendre des actifs russes pour qu’ils servent à financer la reconstruction du pays en guerre, mais Washington a indiqué vouloir agir en coordination sur ce terrain avec les autres membres du G7. La Banque mondiale évalue à plus de 486 milliards de dollars le coût pour reconstruire l’Ukraine dévastée par plus de deux années de guerre.

Deux cas s’en rapprochent : le Koweit a pu bénéficier de l’argent irakien en réparations après l’invasion du pays en 1990. Plus récemment, les Etats-Unis ont gelé des avoirs de la banque centrale d’Afghanistan après le retour au pouvoir des talibans et projeté de les distribuer au bénéfice du peuple afghan. Mais l’ONU était impliquée dans le premier cas, et dans le second l’objectif était d’en faire bénéficier le peuple afghan.

Avoirs en Russie : la banque Raiffeisen renonce à un accord controversé

La banque autrichienne Raiffeisenbank (RBI) a annoncé mercredi abandonner son montage complexe impliquant l’oligarque russe Oleg Deripaska, visé par des sanctions occidentales, pour récupérer des avoirs gelés en Russie, face aux réticences notamment américaines.

« La banque a décidé de renoncer à la transaction par mesure de précaution », a déclaré RBI dans un communiqué publié à l’issue d’une réunion de son conseil d’administration, expliquant « ne pas avoir obtenu le soutien nécessaire lors de récents entretiens avec les autorités compétentes. »

Il y a plus d’un an, elle avait annoncé vouloir « vendre ou scinder » sa filiale russe. Puis en décembre, elle avait dit vouloir racheter les parts dans l’entreprise autrichienne de construction Strabag à une entité contrôlée à l’époque par Oleg Deripaska et depuis cédée. La filiale russe de RBI devait acquérir ces actions pour une valeur de plus d’un milliard d’euros puis rapatrier les avoirs vers la maison mère en Autriche sous forme de dividendes en nature. L’opération était vue d’un mauvais oeil par le Trésor américain, dont une haute responsable était venue à Vienne en mars. La semaine dernière, le PDG de RBI Johann Strobl avait affirmé que le projet serait annulé s’il existait « un risque de sanctions ou d’autres conséquences négatives de la part de l’une des autorités concernées ».

Plus de deux ans après l’invasion de l’Ukraine, Raiffeisen demeure la plus grande banque occidentale opérant en Russie, malgré les appels de la Banque centrale européenne (BCE) à quitter le pays, parlant d’un risque peu contrôlable. Raiffeisen y est présente depuis 1996 et emploie plus de 9.000 personnes, selon son rapport financier de 2023. Elle affirme y réduire progressivement ses activités, dont le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait dénoncé en 2022 le maintien.

(AFP)

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