mardi, mai 7

Trop d’argent pour une utilité questionnée : l’IA générative déçoit déjà

35 à 40 milliards de dollars de dépenses prévus pour Meta en 2024. C’est deux fois plus que ce que l’entreprise a l’habitude de dépenser. Et c’est en grande partie pour accompagner le développement de l’intelligence artificielle générative (qui produit du contenu à partir d’une instruction en langage naturel). Le montant, annoncé lors de la publication des résultats trimestriels de l’entreprise, a fait frémir les investisseurs, faisant chuter l’action de l’entreprise, qui a par ailleurs doublé ses bénéfices, faisant mieux que prévu.

Car Mark Zuckerberg l’affirme lui-même – il ne faut pas s’attendre à un retour sur investissement avant « plusieurs années ». Susan Li, la directrice financière, a ajouté que les dépenses d’investissement devraient être encore plus élevées l’année prochaine, « car nous investissons de manière agressive pour soutenir nos ambitieux efforts de recherche et de développement de produits dans le domaine de l’IA ». Le propriétaire de Facebook et Instagram est, en effet, parti en retard dans cette course technologique, mais a récemment mis les bouchées doubles avec Llama 3, dont la plus grande version devrait largement surpasser en termes de nombre de paramètres (données sur lesquelles il a été entraîné) la concurrence.

La flambée des coûts est par ailleurs un enjeu partagé par l’ensemble de l’industrie. Un récent rapport de l’Université de Stanford notait que les coûts d’entraînement avaient explosé en quelques années : de quelques milliers de dollars pour les premiers Transformers (type de grand modèle de langage) en 2017 à plus de 190 millions de dollars pour la dernière version de Gemini (le grand modèle de langage).

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Zuckerberg espère que l’utilisation de l’IA via les réseaux sociaux augmentera les revenus publicitaires

Mark Zuckerberg n’est pourtant pas venu les mains vides face aux investisseurs. Il a évoqué des façons assez précises dont l’intelligence artificielle, et notamment son assistant virtuel MetaAI, pourrait rapporter de l’argent. Il en voit trois principales : intégrer des publicités aux échanges avec MetaAI, faire payer les utilisateurs un droit d’accès à des IA plus performantes, l’augmentation du temps passé de manière générale sur les applis (et donc par conséquent du revenu publicitaire de Meta).

Mais tout ceci dépend d’une condition majeure : l’adoption de l’outil par les utilisateurs. À quel point auront-ils envie de se confier à un assistant virtuel pendant leurs pérégrinations sur Instagram, WhatsApp ou Facebook ? Mark Zuckerberg fait le même pari (risqué) qu’avec le métavers – penser que sa vision du futur du web est partagée par l’ensemble des internautes.

Google également questionné sur les bénéfices que peuvent lui rapporter l’IA

Un jour après Meta, Microsoft et Google ont également affiché des dépenses colossales, lors de la publication de leurs résultats trimestriels. 12 milliards de dollars au dernier trimestre pour Google, en progression de 91 % par rapport à la même période l’an dernier. Et ce montant devrait être le même voire supérieur les prochains trimestres. 14 milliards pour Microsoft, en progression de 20 % par rapport au trimestre précédent.

Toutefois, grâce à leurs services cloud, les deux entreprises voient déjà des rentrées d’argent liées à l’intelligence artificielle. Ce n’est pas tellement leurs propres IA qui génèrent le plus de revenus, mais le fait que leurs clouds hébergent les projets d’IA d’autres entreprises. Microsoft Azure et les autres services cloud ont progressé de 31% au dernier trimestre, dont 7 points de pourcentage serait dus à l’IA. La division cloud de Google se porte elle aussi très bien. Elle affiche un bénéfice opérationnel de 900 millions de dollars de janvier à mars, contre 190 millions l’année dernière sur la même période.

Concernant l’IA générative de Google (Gemini) proposé aux utilisateurs via le moteur de recherche, les retombées financières sont plus floues… Questionné par les analystes à ce sujet, Sundar Pichai, le PDG de Google, a donné très peu d’éléments de réponse, note le Wall Street Journal. Il a indiqué que « l’augmentation des recherches parmi les personnes essayant ses nouveaux outils IA était encourageante, mais il a fourni peu d’éléments sur l’impact commercial de la technologie », écrit le média américain.

Microsoft, de son côté, a sans doute le produit le plus abouti d’IA générative parmi ce que proposent les Big Tech aujourd’hui. Certains analystes pensent d’ailleurs que sa commercialisation pourrait ajouter « des milliards » au chiffre d’affaires de l’entreprise.

Faire de bons compte rendu de réunions vaut-il des milliards de dollars ?

Au-delà des inquiétudes des investisseurs face à ces dépenses pharaoniques, c’est l’utilité même de l’IA générative qui commence à être remise en question. Et cela se traduit dans le discours des commerciaux, rapportait récemment The Information. Ces derniers, qui vendent les services d’IA génératives de Microsoft, Google, OpenAI, font des promesses moins ambitieuses qu’au départ.

Le sentiment se confirme côté utilisateur. En février, le Wall Street Journal rapporte que parmi les « early adopters » de Copilot, l’assistant dopé à l’IA de Microsoft, certains restent dubitatifs sur les bénéfices apportés par la technologie, compte tenu de son prix élevé (30 dollars par tête et par mois). Globalement, les salariés reconnaissent que l’outil est particulièrement utile pour faire des comptes-rendus de réunion, ce qui permet à certains de ne pas participer et de se contenter d’un résumé. En revanche Copilot pour Excel ou pour PowerPoint peine à convaincre, à cause du trop grand nombre d’erreurs et d’hallucinations (les faits inventés par une IA).

Lenovo, l’une des premières entreprises clientes, rapporte qu’à part la transcription de réunions Teams, il y avait une chute de l’utilisation des autres fonctionnalités autour de 20% au bout d’un mois seulement.

L’IA générative : « un stagiaire inexpérimenté et parfois négligent »

Dans sa newsletter « Citation Needed », Molly White, une informaticienne très suivie sur les réseaux sociaux, estime que les quelques bénéfices (aide à la relecture de texte, résumé de réunion, aide à l’écriture de code informatique…) permis par les grands modèles de langage ne justifient pas les coûts exorbitants (financiers et énergétiques) que leur développement requiert.

« Bien que les entreprises d’IA soient enclines à faire des promesses exagérées selon lesquelles les outils pourront bientôt remplacer votre équipe de rédaction de contenu, générer des films de long métrage ou développer un jeu vidéo à partir de zéro, la réalité est bien plus banale : ils sont pratiques de la même manière qu’il peut parfois être utile de déléguer certaines tâches à un stagiaire inexpérimenté et parfois négligent », écrit-elle.

En bref : l’IA n’est pas inutile, mais vaut-elle réellement tous ces milliards ?

Face à ces critiques sur le déploiement ardu de leurs solutions, les dirigeants des Big Tech ont un argument : ce sont aux entreprises de s’adapter. Satya Nadella, le PDG de Microsoft, estime ainsi que le frein au développement de l’intelligence artificielle n’est pas la technologie en elle-même, mais la culture d’entreprise. Lors d’un appel avec des analystes suite à la publication des résultats financiers de son entreprise, il a estimé que c’était aux entreprises de mettre en place les processus nécessaires pour appliquer ces nouvelles solutions.

Mais pour Molly White, on ne peut pas « construire une industrie de centaines de milliards de dollars » autour d’une technologie « plutôt utile, de manière assez ordinaire, et qui peut se targuer d’une légère augmentation de la productivité si et seulement si les personnes qui l’utilisent en comprennent pleinement les limites. »

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