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UE : concilier rigueur budgétaire et investissements… la réforme du Pacte de stabilité votée par le Parlement européen

Après une première tranche de vie de 25 ans, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) est en route pour un nouveau chapitre. Ce mardi, les eurodéputés ont validé la nouvelle mouture, dont le contenu avait été présenté il y a un an par la Commission européenne. Après une dernière validation par le Conseil de l’Union européenne, le nouveau texte devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2025. Mais les nouvelles règles pourront être appliquées dès cette année par les ministres des Finances des Vingt-Sept pour préparer leurs budgets 2025.

Quelle est l’origine de ce pacte ? Quelles sont ses règles principales en matière de déficit et gestion de la dette des Etats ? Que prévoit sa nouvelle version, notamment en matière d’investissements liés à la transition écologique ? En cinq points, voici les éléments clé de ce véhicule juridique central pour la cohérence des politiques budgétaires des nations membres de l’Union européenne.

Un pacte qui a déjà 25 ans

Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) a été adopté par les pays de la zone euro en 1997, en vue de l’arrivée de la monnaie unique, l’euro, au 1er janvier 1999. L’objectif premier était le suivant : imposer aux pays de l’UE d’avoir, à terme, des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. En coulisse, le PSC était particulièrement poussé par l’Allemagne adepte de la rigueur budgétaire : celle-ci souhaitait éviter que les différentes économies de l’UE mènent des politiques budgétaires laxistes et donc risquées pour l’équilibre économique de la zone.

Dans les grandes lignes, ce « corset » budgétaire reprend des critères du traité de Maastricht (1992), fondateur de l’UE (composé à l’époque de seulement 12 membres) avec deux règles emblématiques : il impose aux États membre un déficit des administrations publiques limité à 3% du PIB national, et une dette plafonnée à 60% du PIB.

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Avec la mise en place du PSC, les 27 doivent chaque année au mois d’avril, transmettre à la Commission leurs projets de stratégie budgétaire et de réformes économiques et sociales. A noter que, suite à une réforme intervenue en 2005, un Etat membre est également exonéré du respect du PSC, s’il entre en récession. Il bénéficie alors de délais rallongés pour retrouver un déficit sous la barre des 3 %.

Des sanctions… pas appliquées dans les faits

En cas de dépassement de ces seuils, le PSC prévoyait une procédure de « déficit excessif » qui pouvait, théoriquement, infliger aux pays en défaut des sanctions, notamment une amende. Celles-ci étaient censées prendre la forme d’un dépôt financier auprès de la Commission (0,2 % du PIB), avant une éventuelle amende définitive (jusqu’à 0,5 % du PIB) si le déficit excessif n’était pas comblé. Une suspension des paiements des fonds européens structurels et d’investissement était aussi prévue par le Pacte.

Mais dans les faits, ces sanctions n’ont jamais été appliquées pour ne pas aggraver la situation des Etats en difficulté. Par exemple, l’Italie, qui l’année dernière a enregistré le déficit le plus élevé de la zone euro (7,5% de son PIB), n’a subi aucune sanction. Même traitement pour la France, aujourd’hui comptable d’une dette à 112,3% de son PIB, et qui a été en procédure de « déficit excessif » entre 2009 et 2018.

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Comme solution alternative, les Etats en dehors des clous du Pacte sont censés proposer une trajectoire dite « corrective » sur plusieurs années, qui fait l’objet d’une négociation avec la Commission. Théoriquement, l’excédent de dette au-dessus de 60% devait être réduit d’un 20e par année, mais cette règle, jugée trop stricte, s’est également révélée inapplicable, car elle aurait imposé des cures d’austérité dangereuses pour les économies des pays en difficulté.

Autre modalité centrale du Pacte de stabilité et de croissance : la limitation du déficit « structurel » (c’est-à-dire corrigé des variations de la conjoncture) à 0,5% du PIB pour les pays dont la dette dépasse 60%. Tout dépassement devait être réduit de 0,5 point par an. Une modalité, qui encore une fois, n’a pas été respectée par toutes les nations de l’UE.

En outre, les règles du PSC ont été suspendues entre 2020 et 2023 afin d’éviter un effondrement de l’économie européenne, suite à la pandémie de Covid, puis la guerre en Ukraine. Face à une récession historique, et les besoins financiers indispensables au maintien de l’économie des pays membres de l’UE, Bruxelles a décidé à cette époque qu’il fallait laisser filer les déficits des 27. Ce qui a fait exploser la dette d’un certain nombre, notamment les plus fragiles.

La nécessité d’une réforme, sur fond de débat entre pays « frugaux » et pays endettés

Outre cette pause pendant trois ans, durant ses 25 premières années d’existence, le respect du Pacte de stabilité a fait l’objet de nombreux débats politiques. Deux camps se sont affrontés : d’un côté les pays dits « frugaux » et adeptes de la rigueur budgétaire, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. De l’autre, les pays du Sud de l’Europe, plus endettés et déficitaires, jugeant ses règles trop pénalisantes pour leur économie et notamment l’investissement public. Ce dernier argument a d’ailleurs pris du poids à l’heure de la transition écologique et numérique. Le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui a induit de nouvelles dépenses militaires, est aussi mis en avant par ces Etats. Notamment la France.

À l’inverse, ces dernières années, les pays « frugaux » ont régulièrement dénoncé un pacte insuffisamment respecté. Selon eux, le cadre, trop rigide, aurait paradoxalement abouti à des règles politisées, dont l’interprétation par la Commission était jugée trop accommodante.

Un nouveau Pacte censé réconcilier les deux camps

Ce mardi, les eurodéputés, réunis en session plénière à Strasbourg, ont donc approuvé une réforme du Pacte de stabilité et de croissance. La philosophie de cette nouvelle mouture est censée atteindre une forme d’équilibre : permettre le redressement des finances publiques des pays de l’UE en difficulté, tout en préservant les investissements nécessaires aux enjeux importants de ce siècle, notamment la transition écologique et digitale. Pour y arriver, le nouveau PSC prévoit des règles plus adaptées à la situation particulière de chaque pays. De sorte que les trajectoires budgétaires seraient à la fois plus réalistes et mieux appliquées.

Concrètement, les Etats membres devront désormais présenter un plan sur 4 ans qui devra assurer la « soutenabilité » de leur dette et ramener leur déficit sous 3% du PIB, conformément à une trajectoire de référence calculée par la Commission. Autre nouveauté : les efforts de réformes et d’investissements des Etats membres seront récompensés par la possibilité d’allonger la période d’ajustement budgétaire jusqu’à 7 ans, au lieu de 4. L’idée est que ces réformes soient moins brutales pour les économies des pays.

Autre point important : le pilotage des réformes budgétaires des Etats portera sur l’évolution des dépenses, un indicateur jugé plus pertinent que les déficits qui peuvent fluctuer selon le niveau de croissance.

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Inquiète que les efforts ne soient pas assez homogènes, l’Allemagne a obtenu certaines modalités sous le signe de la rigueur. Notamment, le fait que tous les pays en situation de « déficits excessifs » soient contraints à une réduction minimum du ratio de déficit de 0,5 point de PIB par an.

Sur ce point, Paris a cependant négocié auprès de Berlin un assouplissement de cet effort sur la séquence 2025-2027 : il sera tenu compte sur cette période de la hausse du coût de la dette liée aux taux d’intérêt élevés. Et, les Etats placés sous procédure de « déficit excessif » pourront continuer à investir dans les priorités de l’Union européenne, notamment la transition écologique et la défense.

Par ailleurs, le ratio de la dette des pays en procédure de « déficit excessif » devra diminuer d’au moins 1 point par an en moyenne sur 4 ou 7 ans, si l’endettement est supérieur à 90% du PIB.

Hors procédure de « déficits excessifs », Berlin a aussi imposé que l’objectif de déficit public structurel soit abaissé à 1,5% du PIB, au lieu de 3% jusqu’à aujourd’hui, pour les pays dont la dette dépasse 60% du PIB.

À noter également : en cas de non-respect de ces règles budgétaires communes, la nouvelle version du Pacte de stabilité prévoit désormais des amendes à hauteur de 0,05 % du PIB, qui s’accumuleront tous les six mois, jusqu’à ce que le pays visé mette en place des mesures effectives pour résorber son déficit et sa dette.

Le retour de l’austérité pour les partis d’opposition

Le vote favorable, ce mardi, a été permis par le soutien des trois principaux groupes politiques du Parlement européen : conservateurs du PPE, sociaux-démocrates (S&D) et libéraux (Renew). Ce qui n’a pas empêché Les Verts et certains élus S&D et la gauche radicale, de critiquer fortement le projet de loi. Ces derniers dénoncent notamment un retour de l’austérité qui freinera l’investissement et profitera aux populistes.

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Ces nouvelles règles « représentent un suicide économique, écologique, géopolitique et démocratique », a déclaré lundi à l’AFP l’eurodéputé écologiste belge Philippe Lamberts. Cet accord « exigera des États membres qu’ils réduisent leur dette rapidement et d’une manière qui n’est pas soutenable économiquement et socialement : cela marquera un retour à l’austérité », ont également dénoncé des syndicats belges, français, italiens et espagnols, dans une lettre ouverte.

« Pour de nombreux Etats membres, il sera difficile de réussir la consolidation des finances publiques tout en réalisant de grands investissements », a aussi reconnu, auprès de l’AFP, Andreas Eisl de l’Institut Jacques Delors.

Mathieu Viviani

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