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« La simplification de la fiche de paie, c’est la fausse bonne idée » (Bruno Grandjean, PDG de Redex)

A la tête de la société de mécanique, Redex, – ETI familiale, qui fait tourner deux usines en France et en Allemagne – Bruno Grandjean a souvent pesté contre les demandes ubuesques de l’administration, et la complexité française. Dans un article de La Tribune Dimanche, publié en novembre dernier, ce chef d’entreprise, qui emploie 300 personnes, donnait foule de détails sur les absurdités de la bureaucratie hexagonale. A tel point, que Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, lui a proposé de le recevoir, en fin d’année 2023, alors qu’il planchait sur son projet de loi de simplification. Les deux hommes ont longuement échangé. Ce mercredi 24 avril, Bruno Le Maire a présenté sa copie. Bruno Grandjean jette un regard déçu sur ces propositions.

> Lire aussi : Normes administratives : le ras-le-bol des patrons (La Tribune Dimanche)

LA TRIBUNE – Une des principales mesures vantée par Bruno le Maire est la simplification de la feuille de paie. Qu’en pensez-vous ?

BRUNO GRANDJEAN – Ce n’est pas la première fois que l’on nous annonce ce type de mesures qui, soit disant, serait révolutionnaire. Permettez-moi d’être dubitatif. Cela ne va rien changer, le bulletin de paie a déjà été simplifié. C’est la fausse bonne idée. Nous allons donc passer de la fiche de paie simplifiée à l’hypersimplifiée. Concrètement, Bruno Le Maire veut réduire le nombre de lignes inscrites sur le bulletin, mais cela ne va pas diminuer le nombres de caisses et d’organismes qui ponctionnent le salaire. Or, ce sont autant de lobbies puissants qui manoeuvreront pour que rien ne change. Ainsi, je crains que ces résistances ne soient insurmontables. Et que cela dépasse le seul pouvoir d’un ministre.

Et puis, cela ne va pas donner moins de travail aux responsables de paie, puisque le bulletin de salaire complet doit être à la disposition des salariés qui voudront le consulter. Donc nous allons de nouveau devoir changer de logiciels, et une nouvelle fois, payer une mise à jour. Car il faut savoir que la complexité fait vivre tout un système d’éditeurs de logiciels, de consultants, d’avocats, etc.

J’ajoute enfin, que la fiche de paie, c’est un « Dazibao » gouvernemental (du nom des affiches politiques placardées en Chine ndlr), un tract politique. A chaque fois, que le gouvernement ajoute un chèque, une aide aux salariés, il faut ainsi l’inscrire et le rendre visible. C’est de la communication politique. J’ai des usines en Allemagne, ce type de mélange des genres n’existe pas. Et la fiche de paie est réellement plus simple.

Le gouvernement promet aussi de rendre plus facile l’accès à la commande publique. Vous n’y croyez pas non plus ?

Quiconque a déjà rempli un dossier « France 2030 » (le plan du gouvernement de 54 milliards d’euros sur 5 ans qui vise à développer la compétitivité industrielle ndlr), sait d’où nous partons ! Là encore, je crains que le chemin soit long et semé d’embuches. Et tout aussi insurmontable. Du guichet unique, nous sommes passés à la plateforme unique. Certes, la belle affaire !

On nous promet, par ailleurs, que des personnels de l’administration, des agents de la DGFIP (Direction générale des finances publiques), de l’Urssaf, de la direction générale du Travail, viendront en stage dans nos entreprises. Mais tous les entrepreneurs sont inquiets ! Nous n’avons pas besoin d’avoir des mandarins de l’administration qui s’offrent des voyages en pays inconnus. Je ne suis pas convaincu que cela change les états d’esprits.

On vous sent en colère et dubitatif. Que faut-il changer ?

Je ne sais pas, il faudrait tout revoir. Il faudrait un vrai choc de simplification. Je ne suis pas le seul à le penser dans les entreprises. Il faut aussi regarder ce qu’il se fait dans les autres pays. Aux Etats-Unis, les industriels peuvent, par exemple, déduire de leurs bénéfices tous leurs investissements productifs. C’est simple, net, efficace. Et on ne leur demande pas des foules de justificatifs. Et la décision a été prise très vite pour booster l’investissement. En France, on nous parle d’un projet de loi qui va être discuté à l’Assemblée nationale, qui va faire l’objet de concertation avec les partenaires sociaux… Autant dire que nous ne sommes pas sortis de nos peines. Et quand j’évoque les partenaires sociaux, cela vaut aussi pour le patronat qui n’est pas le dernier à produire de la norme, de la paperasse, de la complexité. Avez-vous vu la convention collective qui vient d’être faite par l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie, membre du Medef ndlr), qui représente les industriels ? Voila pourquoi, aujourd’hui, je suis résigné comme tant de chef d’entreprises.

Propos recueillis par Fanny Guinochet.

Fanny Guinochet

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