samedi, avril 27

Pourquoi la Bourgogne-Franche-Comté parie déjà sur de nouvelles cultures agricoles

Conditions d’implantation, conduite de la production avec une gestion de l’eau et de la fertilisation optimisée… Mais aussi travail sur les débouchés avec des transformateurs régionaux et nationaux. Le panorama couvert par l’expérimentation R&D Alliance BFC est large, en vue d’un transfert raisonné – mais rapide – aux agriculteurs de Bourgogne-Franche-Comté.

« S’il y a encore quelques années, le concept de semer des abricotiers, ou des herbes de Provence dans notre région pouvait faire sourire les agriculteurs, aujourd’hui certains se projettent clairement dans l’avenir », observe Christophe Richardot, DG d’Alliance BFC (union qui regroupe trois coopératives agricoles : Dijon Céréales, Bourgogne du Sud et Terre Comtoise).

C’est le cas de Gilles Maire, agriculteur au nord de Dijon, céréalier, qui a planté quelques abricotiers sur ses terres il y a trois ans : « La période critique se joue actuellement au printemps où il faut éviter les gels tardifs ou des températures trop élevées ».

Lire aussiRestauration collective : une piste de débouché pour l’agriculture biologique ?

Concrètement, les agronomes d’Alliance BFC, de l’Inrae BFC, de l’Université de Bourgogne, de l’Institut Agro et d’Agronov ont mené durant trois ans une expérimentation – portée par le plan de relance – sur le sujet de la modélisation des cultures en Bourgogne-Franche-Comté.

« L’idée est de se projeter sur les années 2040, 2050, 2080 et jusqu’à la fin du siècle, en y appliquant les prévisions du GIEC par rapport aux changements climatiques, avec des données de développement physiologique des plantes, et des rendements théoriques », explique Frédéric Imbert, directeur R&D de l’Alliance BFC.

Deux plateformes d’essais sont actuellement en expérimentation en Côte-d’Or, à Aiserey et à Jours-lès-Baigneux et bientôt une troisième, orientée sur la gestion de l’eau, à Givry.

Anticiper les pertes de rendement

« Les projections de cette expérimentation ont permis de voir que le modèle agricole tel qu’il existe aujourd’hui pourrait se retrouver en grande difficulté si rien ne change », affirme Hervé Martin, responsable développement filières, nouvelles cultures, HVE, à l’Alliance BFC.

En particulier, le niveau de rendement des cultures de printemps (tournesol, maïs, orge, pois), et surtout, la production fourragère qui alimente les élevages. Selon les projections de l’étude, en 2050, les cultures de printemps et les surfaces fourragères de prairies pourraient déplorer 20 à 25% de pertes de rendement, avec une forte variabilité selon les années.

« L’enjeu est de trouver de nouvelles espèces qui soient capables de pousser et de fournir une ressource fourragère suffisante aux animaux d’élevage », explique ainsi Hervé Martin.

Quelles seront les nouvelles espèces plantées en Bourgogne-Franche-Comté dans les années à venir ? Trois grands volets sont ressortis. D’une part, les fruitiers avec principalement les pommiers et les abricotiers. Ensuite, les plantes aromatiques avec les herbes de Provence (romarin, sarriette, origan). Et enfin, une production annuelle avec un peu de fourrage et des légumineuses qui sont très peu produites dans la région, type lentilles et pois chiches.

Sécuriser les débouchés pour l’agriculteur

L’enjeu n’est pas uniquement de déceler les nouvelles espèces qui pourraient se plaire dans la région. Il convient également de créer des filières locales pour trouver des débouchés aux agriculteurs, surtout si ces derniers s’engagent à planter des arbres fruitiers, qui ne donneront des fruits qu’au bout de trois à quatre ans.

Pour cela, Alliance BFC s’est appuyée sur ces partenaires, notamment l’incubateur Agronov. Ce dernier héberge des startups spécialisées dans ce domaine. « Notre objectif sur ces productions est de mettre 50% sur un débouché long, par le biais d’un ou plusieurs industriels, d’en mettre 30% sur les collectivités et le reste sur le circuit court », précise Frédéric Imbert.

Côté industriels, plusieurs pistes ont déjà été avancées. Pour la production de pommes, l’entreprise Foulon Sopagly, implantée à Mâcon en Saône-et-Loire, se montre intéressée. Cet écraseur de fruits produit les jus de fruits pour McDonald’s, Pampril, Joker ou encore Pagot. Il cherche désormais à relocaliser sa production éparpillée en Europe de l’Est.

Pour la production de noisettes, un partenariat est envisagé avec une coopérative du sud-ouest qui cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement, pour alimenter le marché français. Autre piste ? Alimenter le marché italien avec Ferrero, fabricant du célèbre Nutella.

« Sur ce dossier, nous pourrions emmener quelques agriculteurs dans un modèle de production de noisettes totalement contractualisé avec une forme de sécurisation du producteur à long terme », souligne Christophe Richardot.

Du côté des collectivités locales, la loi Egalim pourrait être un levier. Pour rappel, elle impose depuis le 1er janvier au moins 50% de produits durables et de qualité aux restaurations collectives, dont 20% de bio. Alliance BFC est en relation avec Dijon Métropole, le Grand Besançon, Chalon et Mâcon pour travailler sur les projets d’alimentation territoriaux (PAT) et alimenter les lycées, par exemple.

Des freins agronomiques …

« Sous l’angle de la production, le réchauffement climatique peut se maîtriser en compensant par d’autres méthodes, soit de l’agroforesterie soit de l’irrigation. C’est l’aléa climatique qui est plus compliqué à appréhender », souligne Hervé Martin.

Cette notion de l’aléa climatique se traduit, par exemple, par des pluviométries très excessives, des gels tardifs avec des écarts de température très importants entre mars et septembre, ou encore des risques de gelée en mai à des moments stratégiques pour les cultures.

Sur l’incubateur d’Aiserey, des freins agronomiques sur les protéagineuses ont été détectés. « Les légumes secs, notamment les pois chiches, ne sont pas forcément très bien adaptés à notre secteur », constate Hervé Martin. « Pourtant, on a un marché, avec un partenariat identifié que nous pourrions approvisionner en proportion », poursuit-il.

… ou réglementaires

En revanche, les plantes aromatiques, elles, s’adaptent bien. Pas de contre-indication agronomique. Sur cette culture, c’est le marché qui bloque. « Il faudrait construire une filière qui est beaucoup plus délicate, parce que c’est une filière d’import, avec des prix qui défient toute concurrence », souligne Hervé Martin.

En effet, l’herbe de Provence, par exemple, n’est pas déposée comme la recette de la moutarde de Dijon. « On peut faire de l’herbe de Provence avec des produits qui viennent de n’importe où, d’Inde notamment ou des pays du Maghreb. Ensuite, les industriels mélangent les herbes selon le ratio de la recette du mélange d’herbes de Provence et on appelle cela : herbes de Provence », explique Hervé Martin. Sauf que le prix de ce produit final est basé sur un coût de revient calculé à partir des salaires indiens qui n’est pas celui des agriculteurs bourguignons…

Deux voies de valorisation sont toutefois entrevues pour les herbes aromatiques : le marché local (environ 60% de la production irait sur ce débouché) et la distillation pour fabriquer des huiles essentielles, mais c’est encore un autre métier…

Des projets en cohérence avec la gestion de l’eau

La gestion de l’eau apparaît aussi comme un dossier crucial qui va de pair avec le développement des nouvelles cultures. Selon les chiffres du ministère, neuf fois en 20 ans la sécheresse annuelle des nappes a été plus longue et plus étendue que la moyenne. Trois fois sur la décennie 2000-2009, six fois sur la décennie 2010-2019.

« On réfléchit différemment avec une maîtrise de l’apport de l’eau en micro-irrigation, par exemple, du goutte-à-goutte au pied des abricotiers », explique Hervé Martin.

« L’objectif est d’amener la bonne quantité au bon endroit et d’éviter d’avoir des pertes, parce que ce millimètre d’eau aura une valeur qui va progresser au fil du temps », poursuit-il.

L’Alliance BFC travaille sur deux axes principaux pour alimenter les surfaces agricoles : la récupération des eaux de ruissellement des villages et la réutilisation des eaux de station d’épuration.

« Notre souhait est de ne pas pomper directement dans la nappe. Nous n’utiliserons ni l’eau du canal, ni l’eau de la Saône », précise Christophe Richardot.

L’agrivoltaïsme, une solution pour les nouvelles productions ?

En parallèle de cette expérimentation sur les nouvelles cultures, l’Alliance BFC poursuit une autre expérimentation en agrivoltaïsme, soit la production d’énergie issue du solaire conjuguée à la production agricole.

« L’agrivoltaïsme permet de conforter un revenu complémentaire à l’agriculteur sur le long terme, puisque ce sont des contrats sur 50 ans », explique Christophe Richardot.

Un argument convaincant. Et pour cause, la plupart des agriculteurs ont une visibilité courte sur leur revenu, en lien avec la volatilité des marchés…

« Notre projet est une vision à long terme pour l’agriculteur, que ce soit par la diversification de ces productions, l’adaptation au climat et un schéma contractuel qui lui évite d’être en spot sur les marchés – comme actuellement sur le blé à l’international – afin de trouver, sur une partie de son exploitation, une sécurisation du revenu. Cette démarche globale sera mise en valeur par la marque Nous Autrement que porte Alliance BFC à l’échelle régionale», conclut Christophe Richardot.

Lien source : Pourquoi la Bourgogne-Franche-Comté parie déjà sur de nouvelles cultures agricoles